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comptait exécuter en Perse à l’aide d’une société d’actionnaires. On devait commencer par relier Téhéran au port de Recht sur la Caspienne, par une voie ferrée de 437 kilomètres d Se longueur qui aurait eu à escalader les défilés de l’EIbourz, dont les altitudes dépassent 2,000 mètres. Des terrassemens avaient été déjà entrepris dans les terrains boisés et marécageux des environs de Recht, lorsqu’au bout d’une année la concession fut retirée, et les travaux en sont restés là. On peut conclure de ces faits que l’Angleterre ne se soucie pas pour le moment de prendre la responsabilité d’entreprises qui auraient pour objet plus ou moins direct la création d’une route continentale vers ses possessions asiatiques ; elle compte évidemment se contenter de la route maritime ouverte par le canal de Suez, et l’achat d’une partie des actions du canal par le gouvernement de la reine est une preuve nouvelle de cette résolution bien arrêtée. Ce qui a dû fortement conseiller ce renoncement, c’est le chaos financier où se débat la Turquie, à laquelle incomberaient nécessairement la construction et l’entretien de toute une section de la ligne projetée. Dans l’hypothèse la plus favorable, il se passera toujours beaucoup de temps avant qu’une administration sage et intègre permette au gouvernement ottoman de reprendre au point où on les a laissés les travaux destinés à doter l’Asie-Mineure d’un système de voies ferrées. Le jour n’est pas encore proche où la locomotive fera entendre son sifflet sur les bords de l’Euphrate ou du Tigre, et où l’on verra une gare s’élever sur les ruines de Ninive.


II

Les choses se présentent sous un autre aspect, si nous tournons nos regards du côté de la Russie. On sait avec quelle patience et quelle ténacité elle travaille à étendre et à compléter le réseau de ses chemins de fer ; elle a compris la nécessité de créer, d’un bout à l’autre de l’empire, des artères où puisse circuler la sève qui doit animer ce vaste corps et le rendre mobile. Après avoir à peu près achevé les voies de communication avec les pays limitrophes de l’ouest et celles qui rattachent ses provinces du nord aux provinces du midi, elle se trouve en présence d’une tâche tout aussi vaste, car il s’agit maintenant pour elle de prolonger son réseau du côté de l’est pour rapprocher ses lointaines conquêtes du centre de l’empire, et pour s’ouvrir des débouchés vers la Chine et vers l’Inde.

Silencieuse et irrésistible, depuis vingt ans la Russie avance en Asie et recule ses frontières, englobant peu à peu dans le vaste empire des tsars les territoires des nomades et les petits états des émirs musulmans. Et de fait elle ne peut s’arrêter ; sa propre défense l’oblige à aller toujours en avant. Comme l’a expliqué