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faudrait traverser les territoires. Ajoutez à cela l’absence de routes déjà faites dont on pourrait profiter pour y rattacher le tracé de la grande ligne. La Turquie d’Europe ne possède encore que 1,300 kilomètres de chemins de fer en exploitation. La répugnance de la Sublime-Porte à faire passer l’artère principale du réseau à travers la Serbie a jusqu’à présent empêché la jonction des réseaux turc et autrichien par la ligne de Constantinople-Sofia. Quant à la Turquie d’Asie, c’est à peine si l’on y trouve quelques centaines de kilomètres en exploitation, bien que le grand réseau vaguement projeté comporte une longueur totale d’au moins 5,000 kilomètres. Le peu de densité de la population, la misère où elle croupit et le manque de combustible, surtout de charbon, étaient les obstacles principaux qui s’opposaient à l’exécution des voies déjà tracées à travers l’Asie-Mineure. La malheureuse population de l’Anatolie attend comme le messie l’arrivée du kara papor (fumée noire), que les percepteurs de l’impôt lui promettent depuis longtemps comme une récompense bien méritée ; mais l’écroulement des finances turques recule cette perspective dans un avenir lointain.

De tous les empires asiatiques, l’Inde seule possède un réseau de chemins de fer étendu et comparable à nos réseaux européens. Commencé en 1845, il comprenait déjà en 1874 une longueur totale de 10,000 kilomètres de lignes en exploitation, et environ 3,000 kilomètres étaient en construction[1]. En dehors du réseau de l’Inde anglaise, on ne rencontre encore sur le continent asiatique que de petites lignes d’intérêt local ou des embryons de grandes lignes qui pourront un jour devenir importantes : en Asie-Mineure, le chemin de fer de Scutari à Ismid (92 kilomètres), et les deux lignes qui vont de Smyrne à Aïdïn et à Alacheher (128 et 130 kilomètres), puis un tronçon de ligne qui mettra Brousse en communication avec le port de Moudania, — enfin, dans le Caucase, le chemin de fer de Poti à Tiflis, qui doit être prolongé jusqu’à Bakou, sur la Caspienne. Avec de pareils élémens, tout est à faire : il faudrait poser 5,000 kilomètres de rails pour arriver aux portes de l’Inde par un chemin de fer qui partirait d’un point de la Méditerranée. Et avant de pouvoir monter en wagon, les voyageurs européens auraient à faire une traversée plus ou moins longue à bord d’un bateau à vapeur ; même en faisant passer le tracé par Constantinople, il resterait toujours le transbordement du Bosphore, qu’on ne pourrait éviter, car

  1. Tous les chemins de fer qui existent aujourd’hui sur le globe entier, mis bout à bout, formeraient une ligne d’une longueur de 270,000 kilomètres, de quoi faire sept fois le tour de l’Equateur. Les États-Unis on possèdent près de la moitié, 117,000 kilomètres. La France avait, en 1874, 20,000 kilomètres de voies ferrées, l’Angleterre 25,000, la Russie 17,000. Même le Japon a déjà deux railways d’une longueur totale de 100 kilomètres.