Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses fermiers dépassaient de beaucoup la rente qu’ils payaient à la couronne, et il voulut avoir sa part du gain. Il s’entendit avec quelques-uns de ces aventuriers pour partager sous main le fruit de leurs rapines, et, tout en affectant d’observer la trêve, il tira profit de ceux qui la violaient. En 1350, Gauthier de Bentley, qui avait succédé comme gouverneur à Dagworth, mit au rabais l’entretien des garnisons ; mais les capitaines se rattrapèrent en écorchant davantage les malheureux Bretons et n’en continuèrent pas moins de faire fortune. Lorsque ces aventuriers avaient sucé jusqu’à la dernière goutte du sang du laboureur qui, toujours exposé à être dépouillé du fruit de son travail, n’osait plus cultiver sa terre, ils abandonnaient la forteresse dont ils avaient fait un nid de vautours ; ils allaient en occuper une autre dans un pays jusque-là plus épargné, sans se soucier des devoirs que leur imposait le prince qui les avait enrôlés. Étaient-ils bien gorgés, ils repartaient pour l’Angleterre comme de véritables déserteurs, et afin d’échapper à la surveillance des agens anglais ou pour ne pas exciter leurs convoitises, au lieu de s’embarquer dans un port de Bretagne, ils prenaient le plus long et traversaient la France, abandonnant le service d’Edouard et trahissant ses intérêts. De tels procédés de la part des vainqueurs ne pouvaient que rendre plus populaire en Bretagne la résistance à leur domination ; toutefois cette résistance était condamnée à n’être qu’une guerre de partisans. Les Bretons attachés à Charles de Blois organisèrent une sorte de chouannerie. Ils faisaient une guerre d’embuscades, de guérilleros aux compagnies anglaises, dont l’avidité, les violences, la brutalité ne sont pas sans quelque ressemblance avec les procédés dont usèrent en Vendée les armées révolutionnaires.

C’est dans cette guerre de partisans que Bertrand du Guesclin, à peine sorti de l’adolescence, fit ses débuts. C’est là qu’il commença à déployer cette audace et cette résolution qui furent un des traits distinctifs de son caractère. Il excellait aux coups de main, aux escarmouches, à ces assauts à l’aide desquels une poignée de gens déterminés s’emparait d’un château négligemment gardé. Tels étaient les exploits de jeunes et hardis villageois qui, réunis sous la conduite de quelque noble, inquiétaient sans cesse le vainqueur. Du Guesclin jouait alors un peu le rôle d’un La Rochejaquelein ou d’un Charrette, d’un Scépeaux ou d’un Frotté. La ressemblance entre lui et ces chefs est d’autant plus frappante qu’à quatre siècles d’intervalle, comme le remarque M. Luce, on retrouve une lutte se poursuivant sur le même théâtre ; ce sont les alentours de la forêt de Paimpont, la fameuse Broceliande, dont les romans de la i Table-Ronde ont célébré les mystérieux enchantemens, et qui