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Cavour, il y a beaucoup de chances pour la paix, il y a beaucoup de chances pour la guerre. — Toujours drôle, monsieur le comte ! — Tenez, monsieur le baron, je vais vous faire une proposition : achetons ensemble des fonds, jouons à la hausse, je donnerai ma démission, il y aura une hausse de 3 francs. — Vous êtes trop modeste, monsieur le comte, vous valez bien 6 francs. » Le fait est que si, au moment où M. de Rothschild recevait cette goguenarde confidence, il y avait en Europe un homme disposant de la guerre et de la paix, c’était le premier ministre du Piémont, et la vérité est encore que, lorsqu’il parlait ainsi, Cavour n’en savait pas beaucoup plus que son interlocuteur. Il emportait à Turin, où il était rentré le 1er avril, un sentiment assez vif de la gravité de la situation ; il voyait l’affaire mal engagée. Sans douter de l’empereur, il croyait à des difficultés, à des atermoiemens, — qui pouvaient toutefois être brusquement abrégés par l’Autriche, si l’Autriche lui rendait le service de commettre quelque faute d’impatience et de précipitation.

La question par le fait ne pouvait rester longtemps indécise. Dès les premiers jours d’avril, elle se resserrait de plus en plus, elle se concentrait en définitive sur deux points qui n’en faisaient qu’un, le congrès et le désarmement préalable. C’est là que l’accord était à peu près impossible. D’un côté l’Autriche ne voulait pas que la Sardaigne fût admise au congrès, et en outre elle réclamait avec irritation, avec hauteur, le désarmement du Piémont avant toute délibération européenne. Cavour, de son côté, avait vu d’un mauvais œil ce congrès qui avait surgi tout à coup, et dans tous les cas il ne pouvait admettre que le Piémont, après avoir pris part depuis trois ans à toutes les délibérations de l’Europe, fût laissé à la porte des conférences nouvelles sur les affaires italiennes. Dès le premier moment, il avait déclaré que le « congrès produirait un effet désastreux en Italie, si la Sardaigne était exclue, » et qu’il serait « entraîné ou forcé de donner sa démission. » Quant au désarmement, il n’en admettait pas même la pensée ; il écrivait résolument au prince Napoléon : « Nous ne désarmerons pas. Mieux vaut tomber vaincus les armes à la main que de nous perdre misérablement dans l’anarchie ou nous voir réduits à maintenir la tranquillité publique par les moyens violens du roi de Naples. Aujourd’hui nous avons une force morale qui vaut une armée ; si nous la perdons, rien ne nous la rendra… » Entre des prétentions si contraires, où était la conciliation possible ? La diplomatie restait perplexe ; elle comprenait que, si l’on refusait au Piémont l’entrée du congrès, il était difficile de lui imposer un désarmement, et que, si on lui demandait de désarmer, il était de la plus simple équité de l’appeler au congrès. De là une combinaison mise en avant par l’Angleterre, complétée ou transformée par la France, et qui consistait dans un