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étape sur la route de Paris ! L’Autriche ne voyait pas que, par ses agitations et ses précipitations, elle compromettait tout, qu’elle désarmait d’avance ceux qui travaillaient pour la paix, et qu’elle se plaçait elle-même dans une condition où elle pouvait être conduite, un jour ou l’autre, à un coup de tête par l’excès de ses déploiemens militaires et de ses dépenses. Elle ne s’apercevait pas qu’elle jouait le jeu de ses adversaires, qu’elle tombait peut-être dans un piège, et dans tous les cas elle commençait par donner un prétexte dont le Piémont, se sentant désormais appuyé, ne manquait pas de profiter. Aux armemens, le Piémont répondait par des armemens ; aux démonstrations, il opposait des démonstrations, mettant en défense ses forteresses d’Alexandrie et de Casale, rassemblant ses régimens dispersés des deux côtés des Alpes. Le parlement votait un emprunt de 50 millions ostensiblement motivé par les « provocations de l’Autriche, » de telle sorte qu’on était déjà presque en présence, ou du moins la question se trouvait terriblement engagée ou envenimée, lorsque la diplomatie se mettait à l’œuvre pour retenir les événemens près de se déchaîner.

Que voulait, ou plutôt que pouvait la diplomatie, au point où en étaient les choses ? Elle n’avait pas tardé à s’émouvoir de tous ces incidens qui tourbillonnaient autour d’elle, qui lui révélaient un danger de guerre. Elle voulait évidemment la paix, elle désirait travailler à la maintenir. L’Angleterre, représentée par le ministère tory de lord Derby et de lord Malmesbury, tenait à la paix plus que tout le monde. Malheureusement l’Europe était profondément divisée, et l’Angleterre elle-même, en prenant l’initiative des explications et des négociations, en ouvrant la campagne diplomatique, l’Angleterre était pleine de perplexités. Elle se sentait partagée entre ses traditions de politique continentale, qui la rattachaient aux traités de 1815 et à l’Autriche, ses sympathies d’opinion qui l’inclinaient vers le Piémont et l’Italie, ses intérêts de puissance commerçante, ses inquiétudes à l’égard de la France, dont les desseins et l’intimité croissante avec Turin la préoccupaient. Elle aurait voulu tout concilier, la paix et ce qui menaçait la paix, l’Autriche, la France, le Piémont, et elle ne voyait pas qu’en allant de l’un à l’autre elle risquait d’échouer partout.

Lorsque l’Angleterre s’adressait à Vienne, le comte Buol, ministre de l’empereur François-Joseph, lui répondait avec impatience : « Vous vous trompez, ce n’est pas ici que vous avez à porter vos instances et vos conseils, c’est à Paris et à Turin que vous devez parler sans réticence. Que l’empereur Napoléon sache bien que, si son armée franchit les Alpes, l’Angleterre ne restera pas inactive ; que le roi de Piémont sache que l’Angleterre ne sanctionnera aucun attentat