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obstinément suivie pendant dix ans, — de cette politique qui a conduit le Piémont de Novare à la guerre de Crimée, du congrès de Paris aux négociations de Plombières. Elle est arrivée, cette politique de dix ans, à isoler l’Autriche dans sa domination contestée, à rallier tous les sentimens italiens autour d’une monarchie nationale, à séparer la question d’indépendance de la révolution et à intéresser les cabinets ; elle a réussi jusque-là par une étonnante combinaison de circonstances habilement préparées, ou toujours saisies à propos, et à l’heure voulue elle trouve comme coopérateurs deux hommes qui, avec des différences profondes de situation, de caractère et d’esprit, se. complètent pour rendre possible l’entreprise la plus difficile. Napoléon III et Cavour se rencontrent et entrent en scène !

Non assurément, ces deux hommes ne se ressemblent guère ; ils apparaissent plutôt comme un contraste vivant et mystérieux. Ils sont exposés à se heurter plus d’une fois, et néanmoins ils s’attirent mutuellement, ils se sentent nécessaires l’un à l’autre. Pour Cavour, Napoléon III est l’allié puissant, dangereux peut-être, mais indispensable, le chef d’une des premières nations, du continent, d’une armée réputée encore irrésistible. Pour Napoléon III Cavour est le ministre extérieur de ses vues énigmatiques sur l’Italie, l’homme le mieux fait pour l’entraîner, pour lui tenir tête au besoin, pour le soulager du poids de ses irrésolutions en pressant ses volontés, en lui offrant par des expédiens toujours nouveaux l’occasion de se décider et d’agir. On raconte que, pendant l’entrevue de Plombières, l’empereur, alors dans l’illusion de son omnipotence, avait dit à Cavour : « Savez-vous qu’il n’y a que trois hommes en Europe, nous deux et un troisième que je ne nommerai pas. » Quel était ce troisième personnage ? Il est resté inconnu. De la rencontre des deux autres dans la petite ville des Vosges naissait bientôt, au commencement de 1859, cette double péripétie de la scène du 1er janvier aux Tuileries et du discours vibrant de Victor-Emmanuel au parlement de Turin, le 10 janvier. Dès le premier instant, Cavour, sans avoir été prévenu, n’avait pu se méprendre sur la portée des paroles négligemment adressées par Napoléon III à M. de Hubner, et en recevant la nouvelle il avait dit avec un sourire : « Il paraît que l’empereur veut aller en avant » » Quant au discours prononcé une semaine plus tard par Le roi Victor-Emmanuel, l’empereur l’avait connu et conseillé. C’était sa tactique de laisser dire par son allié ce qu’il ne voulait pas dire lui-même, ce qu’il ne pouvait encore avouer. Quelques jours étaient à peine écoulés qu’un incident, nouveau éclatait comme un signe révélateur de plus. On apprenait presqu’en même temps que le prince Napoléon venait de partir pour Turin, accompagné du général Niel, et que le mariage d’un