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ayant d’avoir approfondi l’essence des faits, on tient à imaginer l’instinct reproducteur comme le degré inférieur et le commencement d’un sentiment plus noble, que l’on considère cette énergie dans l’animal. Là on la discerne mieux parce qu’elle n’est point mêlée aux élémens qu’y ajoute chez nous l’éducation. intellectuelle et morale. Prenez ce que vous nommez le sentiment maternel et paternel de la bête : quelles aptitudes crée ce principe, à quoi travaille-t-il, à quel moment son action propre cesse-t-elle ? Inspirateur merveilleux, il rend l’animal architecte pour concevoir le plan du nid, charpentier pour en agencer les parties, maçon au besoin pour les revêtir d’un crépi, tapissier pour le capitonner d’ouate, musicien pour distraire et charmer la femelle pendant son labeur de couveuse, guerrier pour défendre la nichée, éducateur, pour lui enseigner à voleter ou à courir et enfin à prendre son essor. Inspirée elle aussi, comme le mâle, la femelle participe à quelques-uns de ces actes ; mais, quand les jeunes sont en possession de la vie physique et des forces qu’elle exige pour se conserver, que font les parens ? Ils écartent leur progéniture, la repoussent, la maltraitent même. Leur tâche est terminée désormais. Or, à cette heure-là, une seconde tâche a depuis longtemps commencé pour les parens humains, celle de donner la vie morale, de la développer dans l’individu qu’ils ont mis au jour et d’assurer son progrès spirituel et celui de l’espèce. C’est à quoi les excite l’amour avant que le devoir les y oblige. L’instinct procréateur transmet la vie physique, garantit ainsi la durée matérielle de l’espèce, et s’en tient là. L’amour maternel et paternel fait cela aussi ; mais il vise plus haut : il a souci de l’âme, de son élévation et par là du perfectionnement de la race. Entre l’amour et l’instinct, voilà les différences : elles sont flagrantes et profondes.

M. A. Lemoine ne les a pas toutes mises dans un égal relief. La dernière du moins est presque sous-entendue. On aurait souhaité de plus que son livre, après avoir tracé le cercle que l’instinct ne dépasse pas, fît voir sous quelle forme, à quel degré l’intelligence s’y associe chez l’animal, et comment la configuration des organes imprime aux mouvemens instinctifs des directions certaines. Peut-être n’a-t-il pas voulu répéter ce que d’autres, M. Henri Joly notamment, avaient déjà écrit sur ce point. Peut-être aussi sa ferme intelligence n’a-t-elle pu triompher de l’affaiblissement et de la souffrance de ses derniers jours. Ce qui le prouve, c’est que sur d’autres problèmes compris, dans le même sujet, il n’a laissé que des notes[1] précieuses encore, mais incomplètes. Ces problèmes,

  1. Ces notes, dont la pensée est claire et forte, ont été imprimées à la fin du volume sur l’Habitude et l’Instinct, par les soins des éditeurs de l’ouvrage, M. Emile Beaussire, ami de M. A. Lemeine, et MM. E. Rabier et Victor Egger, ses anciens élèves.