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sont par les instincts au-dessus de celle-ci. Ce n’est pas l’absence d’intelligence qui est la principale raison d’être de l’instinct, c’est bien plutôt l’urgente nécessité de vivre, laquelle réclame un art inné, tout prêt d’assurer l’existence.

Cet art, dans son inspiration originale, dans sa fécondité spontanée, voilà l’instinct lui-même ; mais il a une autre forme, sous laquelle il apparaît encore plus caractérisé, s’il est possible. À un moment certain, il tend à conserver l’espèce en créant de nouveaux individus, en les nourrissant, en les défendant. Si ce n’est pas là un instinct, il n’y en a pas, car quelle autre tendance revêt au même degré les signes de la puissance instinctive ? L’impulsion vient à celle-ci d’un besoin tellement ressenti que la sensation en est parfois violente et peut irriter l’animal jusqu’à la fureur. L’agent que pousse ce brûlant aiguillon ignore d’ordinaire la fin providentielle de son acte, ou, quand il la connaît, ce qu’il poursuit ce n’est pas cette fin, c’est l’apaisement d’un impérieux appétit. L’acte alors accompli est vital, puisque, par l’harmonie de deux êtres vivans, un être nouveau naît à la vie. Enfin cet acte, aveugle et vital, appartient à la vie de relation, dont il exalte toutes les puissances et dont il produit les expressions les plus riches, la famille et la société. Plus on y pense, moins on comprend que M. Ch. Darwin, attaché à la poursuite des origines, tant à celle des espèces qu’à celle des instincts, n’ait pas fait de l’instinct procréateur l’objet principal de son étude. Comment un esprit si sensible à la vérité expérimentale n’a-t-il pas vu que cet instinct explique l’hérédité, loin d’être expliqué par elle ? Tout héritier est précédé par ses auteurs, lesquels ne créent que sous l’empire de la tendance reproductrice. Celle-ci, à tous les points de vue, est le pouvoir animal par excellence. Chez l’homme lui-même, elle est l’empreinte de l’animalité. Que la raison de l’homme s’éclipse, que sa liberté s’égare ou s’aveugle, comme chez l’aliéné, ce qui reste alors presque uniquement, c’est l’énergie bestiale de cet instinct et le cynisme de l’animal déchaîné. La tragédie antique le plaçait au rang des puissances fatales :

C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.

Les philosophes, les ascètes, les saints savent et prouvent que l’âme libre est capable de lui résister ; mais ils n’ignorent pas que ni la raison, ni l’expérience, ni la volonté ne créent cette force ; tant elle a sa nature à elle, tant elle est un instinct, le plus incontestable de tous, celui de tous qui démontre de la façon la plus éclatante que l’instinct est un principe déterminant qui ne se confond avec aucun autre.

Si l’on en doute encore, si, secrètement épris du transformisme