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tions trop chargées de détails physiologiques, telles par exemple celles de MM. Herbert Spencer, on discerne l’œuvre de l’instinct. On peut aussi, toujours dans cette lumière, mieux isoler les opérations de l’instinct des actes de certains : autres principes qui sont ses alliés ou ses collaborateurs, sans s’identifier avec lui. L’œuvre propre de l’instinct, c’est la conservation de l’individu et de l’espèce ; c’est même encore plus le maintien de l’espèce que le salut de l’individu. Donc il a pour but essentiel la vie. À cet égard, les opinions sont unanimes. Si l’auteur du livre sur l’Habitude et l’Instinct n’avait établi que cette vérité, mince serait son mérite. Il a fait mieux et davantage : il a tenté de tracer la ligne de démarcation qui sépare les phénomènes instinctifs des actes soit vitaux, soit psychologiques, et je ne sais personne qui, dans cette entreprise, ait réussi autant que lui.

Parce que l’instinct est plus fort, plus varié dans ses formes, plus fécond en industries diverses chez l’animal que chez l’homme, on s’imagine parfois qu’il paraît plus à découvert dans, les natures inférieures, à la nôtre. C’est une illusion. Même en ce qui touche l’instinct, l’homme est à lui-même ce qu’il y a de plus clair, tandis que, selon le mot de Descartes, « nous ne sommes pas dans le cœur des animaux. » Étudier d’abord l’âme humaine, puis comparer ce qu’on y a vu avec ce que trahit la vie extérieure de la bête, voilà jusqu’ici la seule méthode qui porte fruit. Que nous apprend ce procédé quant à la part de l’instinct dans l’œuvre de la vie ? Les faits qui visent ou aboutissent directement à la conservation de l’existence humaine sont de trois sortes : les uns ne peuvent jamais être ni produits, ni reproduits par la volonté ; d’autres sont toujours et uniquement les effets de la volonté ; d’autres enfin, accomplis dans l’origine sans la volonté, sont plus tard repris et reproduits par elle. Les premiers échappent à l’activité humaine, et par conséquent à l’instinct qui est la partie aveugle de cette activité. Les seconds provenant de la volonté, qui est notre activité éclairée et réfléchie, il serait contradictoire de les rapporter à l’aveugle instinct ; mais c’est bien à lui qu’appartiennent les derniers, car, si la volonté s’en empare ultérieurement, dès le début c’est la spontanéité ignorante, inéclairée, infaillible qui les a improvisés. Si l’on y prend garde,on remarquera que ces faits sont presque uniquement ceux que le langage ordinaire qualifie d’instinctifs.

Voilà un bon signe, un critérium, comme parlent les logiciens. Si, avant de traiter de l’instinct, M. Herbert Spencer s’était mis en possession d’un pareil signe, et s’il s’en était servi, pour caractériser les faits au lieu de les plier aux exigences de l’hypothèse évolutionniste, il n’aurait pas identifié les actes instinctifs avec les