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liation et malgré l’insuffisance des preuves fournies, que nous avions élevé les mouvemens de la plante carnivore au niveau d’un phénomène de digestion animale. Et fussent-ils digestifs, on n’aurait pas le droit de les qualifier même d’actions réflexes, selon des savans autorisés, parce que « l’absence totale d’un tissu nerveux chez les plantes fait pécher par la base cette dernière assimilation. ».

La précision du langage scientifique exige que la susceptibilité particulière d’où procèdent les actions végétales les plus élevées soit appelée simplement impressibilité. Ce mot me semble marquer avec exactitude la place qu’occupe cette propriété sur l’échelle des spontanéités vitales, immédiatement au-dessous de la sensibilité. Cela n’implique pas, on vient de le voir, qu’elle soit un degré inférieur de la sensibilité : celle-ci suppose toujours une impression antécédente ; mais l’impression a lieu fréquemment sans qu’une sensation la suive, elle est un phénomène distinct et mérite une dénomination spéciale.

Or, point de sensibilité, point d’instinct, puisque instinct signifie piqûre reçue et sentie. Par conséquent, résignons-nous, poètes, savans et philosophes, à avouer que l’instinct, refusé à la plante, est l’apanage exclusif de l’animalité. C’est donc chez l’animal, rien que chez lui, qu’il faut étudier cette puissance active.

Même au plus bas degré de l’animalité, le besoin est senti. Sentir, c’est souffrir ou jouir, et la douleur est le premier aiguillon de l’instinct. Quant au plaisir, il n’est évidemment au début que la récompense de l’effort par lequel « l’instinct fuit la douleur du besoin dont il naît. » Tant que la jouissance est encore inéprouvée, inconnue, elle ne saurait exercer l’attrait d’une promesse ou d’une espérance. La tendance originelle de l’instinct n’enveloppe donc pas le désir, car le désir marche à une fin connue d’avance, tandis que l’instinct pousse l’être à produire un acte sans lui proposer une fin. Le fondateur de l’histoire naturelle dans l’antiquité, en dépit de son génie, s’est trompé lorsqu’il a représenté tous les êtres de l’univers sans exception portés par le désir vers le bien suprême. Au-dessous du désir qui voit son but, il y a l’instinct, qui est aveugle, — aveugle, et néanmoins doué de cette part minime de conscience sans laquelle il n’y a ni douleur ni plaisir, et de cette pâle lueur d’intelligence nécessaire à l’animal imparfait pour lui montrer non la portée, mais du moins « la réalité grossière et sensible de ses actes. » En sorte qu’à sa limite inférieure l’instinct comprend la spontanéité, la capacité de sentir, la conscience la plus obscure et l’intelligence la plus vague. — À cette première esquisse de l’instinct, je ne vois pas ce que la critique pourrait reprendre.

Une fois assurée de ne pas regarder trop bas quand elle cherche