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comment on raisonne, que l’on s’en aperçoive ou non : certaines plantes saisissent des insectes, les engluent de viscosités, les dissolvent et les absorbent ; donc elles manifestent de la sensibilité. — Oui, répondrons-nous, si elles sentent réellement ce qu’elles font et ce qui se passe en elles ; non, si elles ne le sentent pas, car on comprend de reste qu’une sensibilité non sentie et non sentante n’est qu’une contradiction. Lorsque je déclare le drosera sensible, ou c’est par une sorte de divination, et dans ce cas mon affirmation n’a aucune valeur ; ou c’est par voie d’induction régulière, et dans ce second cas je conclus de mon organisation, ou plutôt de ma sensibilité, la seule que je connaisse directement, à la sensibilité du végétal. Or cette induction n’est légitime qu’à la condition expresse que tous les phénomènes digestifs qui s’accomplissent en moi et qui ressemblent le plus à ceux du drosera, soient sentis par moi. En est-il ainsi ? Prenons un phénomène d’analyse facile, et donnons la parole aux physiologistes eux-mêmes. Quand l’aliment, après la déglutition, pénètre dans l’estomac de l’homme, les parois de cet organe sont excitées, et le suc gastrique coule en abondance sur la substance ingurgitée. En second lieu, certaines fibres musculaires de l’œsophage se contractent de façon à maintenir l’aliment dans la cavité stomacale et à empêcher la régurgitation. Puis les parois de l’estomac deviennent le siège de contractions circulaires, et ensuite de mouvemens vermiculaires péristaltiques qui portent le chyme vers le pylore, d’où il passe dans l’intestin grêle. Cet exemple est assurément celui où se voient reproduites avec le plus de ressemblances toutes les phases de la digestion présumée des plantes carnivores : contact d’un corps venu du dehors, irritation de l’organe, sécrétion d’un liquide, contractions diverses des fibres, enfin absorption. Eh bien, ces phénomènes de la nutrition chez l’homme sont-ils sentis par l’homme ? Dans certaines circonstances, on en sent quelques effets : ainsi le passage d’un liquide brûlant, ou le sillon que trace une bouchée grosse et dure, ou bien encore le malaise de l’indigestion, ou la menace du vomissement. Mais à l’état normal, en pleine santé, les organes jouant avec aisance et liberté, qui donc sent l’aliment irriter les parois de l’estomac, qui donc sent la sécrétion du suc gastrique et les mouvemens circulaires, et les contractions péristaltiques ? Personne. Voilà qui est décisif. Revenez maintenant à l’induction de tout à l’heure ; qu’y voyez-vous ? Que cette induction, passant d’un ensemble de faits de nutrition qui s’accomplissent dans l’homme à des faits semblables qui s’accomplissent dans le végétal, a conclu qu’ils sont sentis par le végétal alors qu’ils ne le sont pas par l’homme, — ce qui mérite d’autant plus l’attention que c’est uniquement par esprit de conci-