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tendu pour saisir la proie, se rabat sur l’insecte dès que celui-ci a seulement effleuré l’extrémité visqueuse des tentacules. Incontestablement, dit-on, la plante a subi la pression des pattes de la mouche, elle a réagi en se contractant, enfin elle a dissous et digéré le corps vivant qu’elle avait capturé. D’après M. Claude Bernard, ces phénomènes doivent être considérés, « à cause de leur rapport étroit avec les stimulations extérieures, comme des manifestations de la sensibilité. »

Il ne nous déplaît pas, quant à nous, de constater que la science moderne se montre quelque peu généreuse envers les êtres les plus infimes. Trop longtemps la matière a été déclarée passive et le mot d’inertie entendu dans un sens rigoureux. Avec une matière radicalement inerte et des molécules tout à fait passives, il n’y aurait aucune réaction entre les corps, et les phénomènes les plus élémentaires seraient impossibles. Lors donc qu’une part plus large d’attributs est rendue soit aux plantes, soit même aux minéraux, il n’y a dans cette réhabilitation rien qui doive effrayer les partisans de la doctrine de l’esprit, pourvu que la mesure soit gardée et que la signification des termes ne reste pas équivoque. Or est-ce garder la mesure et maintenir le véritable sens des mots que d’appeler sensibilité, fît-on cette sensibilité aussi éteinte qu’on le voudra, l’impressibilité des substances chimiques et l’irritabilité du drosera, de la grassette, de l’aldovrandia, du mimosa pudica ?

D’abord à quel ordre de fonctions appartiennent ces phénomènes ? Pour quelques-uns, on n’en sait rien ; pour d’autres, on pense qu’ils sont des actes de nutrition. Cependant, de ce côté, la certitude n’est pas complète ; les doutes sont même assez nombreux. Ainsi il y a des plantes qui capturent des insectes sans les employer si peu que ce soit à leur alimentation. Il peut d’ailleurs arriver que l’absorption, lorsqu’elle s’opère, n’aboutisse qu’à une élimination rapide par un travail analogue à celui des glandes cutanées ou du rein chez les animaux. De plus il n’est point démontré que les substances absorbées soient toujours utiles à la plante ; quand elle en reçoit trop, elle tombe malade et périt. Du moins celles qui n’en digèrent qu’une juste dose paraissent-elles plus vigoureuses que celles de leurs sœurs qui n’ont jamais dévoré d’insectes ? Nul ne le déclare résolûment, et plus d’un savant affirme le contraire. Il n’est donc pas encore démontré que l’irritabilité et les mouvemens contractiles des plantes dites carnivores doivent être tenus pour des phénomènes de nutrition comparables à ceux de l’animal.

Accordons toutefois à M. Ch. Darwin et à M. Claude Bernard que la preuve en soit faite ; quelles en seront les conséquences ? Beaucoup moindres, selon nous, qu’on ne l’a supposé. Au fond, voici