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ils se nourrissent, croissent, se reproduisent, ce qui signifie qu’ils poursuivent la continuation, l’augmentation, la multiplication de leur être. Ils ont donc des besoins qu’ils tendent à satisfaire. Pourquoi cette tendance, qui agit également dans l’un et dans l’autre, est-elle appelée instinct chez l’animal et non chez la plante ? C’est, répond M. Albert Lemoine, que le besoin n’est un instinct qu’à la condition d’être senti et que les plantes ne sentent pas leurs besoins. Aussi longtemps que l’on n’aura pas prouvé, ajoute-t-il, que le sens commun et la langue se trompent en niant que la plante n’éprouve jamais la piqûre, l’aiguillon de l’instinct, le végétal devra être regardé comme dépourvu de sensibilité. — Or voici que la science croit tenir et nous apporte la démonstration demandée. Depuis la mort de M. Lemoine, et même depuis la publication de son dernier livre, un maître dont l’autorité est grande en physiologie essaie d’établir, dans une suite de leçons, qu’entre l’animal et la plante on a exagéré les différences, et que, « si l’on tient compte des transitions, on verra que la sensibilité n’est point l’apanage exclusif de l’animalité. » Ce que M. A. Lemoine aurait opposé aux savantes raisons de M. Claude Bernard je l’ignore ; mais il est de mon sujet d’en apprécier la valeur et la solidité.

Ces raisons, ce sont d’abord des faits intéressans, curieux, nouveaux en partie, puis l’interprétation que l’on propose de ces faits. Les corps bruts, dit la science, ne peuvent par eux-mêmes modifier leur état. Toutefois il leur est donné de réagir, chacun selon sa nature, sous une provocation extérieure. L’irritabilité leur appartient comme aux corps vivans. M. Gernez a enseigné par d’intéressantes expériences qu’un cristal mis dans une dissolution sursaturée du même sel détermine la cristallisation immédiate de toute la masse. M. Pasteur a rendu évidens des phénomènes dans lesquels certains cristaux mutilés non-seulement cicatrisent leurs blessures, mais refont leurs parties amputées, quand on les soumet à l’excitation réparatrice de leur eau mère. Il n’y a donc pas, on le voit, de dissimilitude absolue entre les corps bruts et les corps vivans quant à l’irritabilité. La présence de cette aptitude à recevoir une stimulation du dehors et à y répondre en réagissant est devenue saisissante chez le végétal depuis que les plantes carnivores ont été soumises à des observations minutieuses et suivies. On a lu ici même[1], il y a peu de temps, la fidèle description du drosera sulfurea, tel que l’ont fait surtout connaître l’expérimentation délicate et le livre récent de M. Charles Darwin. On se rappelle la feuille singulière de cette plante, sorte de piège à mouches qui,

  1. Voyez, dans la Revue du 1er  février 1876, la belle étude de M. J.-F. Planchon, intitulée les Plantes carnivores d’après de récentes découvertes.