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but, puisqu’ils y sont fatalement entraînés. Une pierre est sur ma main : vous dites qu’elle tend à tomber ? Ce n’est pas cela : cette pierre est réellement tombante ; sa chute est un fait actuel attesté par le poids dont elle pèse sur ma main. Donc, la matière brute, toujours déterminée à des actes qu’elle ne produit pas, qu’elle ne diversifie pas elle-même, n’a que faire de cette force interne déterminante qu’on nomme instinct. Sans discuter cette théorie de l’éminent psychologue, dont l’exposition paraîtra, nous le craignons, trop succincte, nous dirons qu’elle est confirmée par la science la plus récente. Celle-ci, s’appuyant sur la conception moderne du mouvement, a dépouillé peu à peu la matière des attributs dont on l’avait revêtue. Tous ces attributs, pesanteur, cohésion, attraction, répulsion, affinité, elle les a réduits à des formes du mouvement. Et ce mouvement, d’où qu’il vienne, d’ailleurs, ce n’est pas la matière ; pas même la plus subtile, j’entends l’atome d’éther, qui se l’imprime à elle-même, car elle est inerte. Les physiciens, ou si l’on veut les métaphysiciens les plus libéraux envers la matière, lui accordent la résistance, mais rien de plus, et encore c’est parce qu’ils ne peuvent faire autrement. Comment, par exemple, M. Poinsot[1] eût-il ramené l’élasticité au mouvement, à cette sorte de mouvement réfléchi qui est le rebondissement d’un atome en rotation ayant heurté un autre atome, si ni l’un ni l’autre atome n’avait été résistant ? Que l’atome heurtant soit résistant et pas l’autre, le premier pénétrera le second, il passera au travers. Que ces deux atomes soient également dépourvus de résistance, ils ne se heurteront même pas. Bien plus, un moteur quel qu’il soit ne pourra les mouvoir. Il n’y a donc pas moyen de refuser à l’atome ce minimum de force qui est la résistance et qui constitue toute sa fortune dynamique ; mais de l’énergie résistante, dénuée d’impulsion spontanée, à l’instinct qui est l’impulsion, la spontanéité même, il y a loin.

En regardant à l’autre extrémité de l’échelle des existences, je veux dire dans l’homme, y aperçoit-on l’instinct ? Sans contredit : ce n’est pas là pourtant qu’il se déploie à son plus haut degré et avec la prédominance d’un caractère distinctif. La nature humaine a pour caractéristique la liberté ou volonté conduite par la raison et agissant d’après un choix réfléchi. De l’aveu de la plupart des zoologistes, si l’homme possède l’instinct, c’est principalement à titre d’animal. Cela seul indique au psychologue que l’instinct dans sa force réside au-dessous de l’homme.

Mais dans l’intervalle qui s’étend de la molécule chimique à l’homme, il y a la plante et l’animal. L’un et l’autre sont vivans :

  1. Poinsot, Questions dynamiques sur la percussion des corps.