Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/353

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’était montré doué de la faculté de clown. Cette vocation a jailli du fond de sa nature à lui. En tant que culbutant, il n’est pas héritier, il est ancêtre. C’est un créateur d’instinct.

Comment M. Ch. Darwin ne s’est-il pas aperçu du démenti donné par ces observations frappantes à sa théorie de l’origine de l’instinct ? Serait-il tombé dans cette contradiction, s’il eût pris soin tout d’abord de définir le principe instinctif par son caractère saillant, et si, pour saisir ce caractère, il eût complété la méthode plus extérieure du naturaliste par l’analyse plus intérieure du psychologue ? Ce qui est certain, c’est que la doctrine de l’évolution, — que d’ailleurs nous ne discutons pas en ce moment, — fût-elle vraie, expliquerait la variation, la transmission, la croissance des instincts, nullement leur origine. Celle-ci ne réside donc pas plus dans l’hérédité que dans l’habitude héréditaire, que dans l’automatisme soit absolu, soit tempéré, que dans l’expérience, que dans la raison. L’instinct n’est rien de tout cela. Qu’est-il alors ?


III.


On ne cherche une vérité, un fait, une force, une cause que lorsqu’on en a déjà une certaine notion plus ou moins confuse. Les psychologues qui se proposent d’élucider assez la nature de l’instinct pour arriver à en donner une définition partent d’une idée qu’ils en ont. Quelle est cette idée ? Celle qu’en a tout le monde. Les philosophes, les littérateurs, les savans, les gens du monde, malgré la diversité des points de vue où ils sont placés, s’entendent quand ils prononcent ensemble le mot instinct. Sous ce mot, ils mettent donc tous quelque élément commun, toujours le même. C’est évidemment cet élément qu’il faut commencer par dégager, sauf à pousser ensuite l’analyse plus à fond.

Comme l’instinct, même dans l’homme, est une des énergies les plus obscures dont la science ait à s’occuper, le procédé le meilleur pour le connaître est de le considérer d’abord dans ses analogues. Or ses analogues, on croit les apercevoir aujourd’hui principalement dans le génie et dans l’habitude. M. A. Lemoine a comparé l’instinct avec l’habitude : il a eu raison, et on verra dans un instant ce que cette comparaison a produit. Peut-être son travail si clair eût-il été plus lumineux encore s’il eût expliqué pourquoi, dans la langue actuelle, les termes d’instinct et de génie sont souvent, trop souvent remplacés l’un par l’autre. Démêlons-en, s’il se peut, la raison.

Sous la plume de certains auteurs trop préoccupés de frapper fortement l’oreille, une vocation de peintre devient un tempérament pittoresque, et le génie de la mélodie s’appelle un instinct