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contré des chiens redevenus sauvages après avoir été apportés là par des Européens. Ces animaux n’aboyaient plus et se creusaient des terriers. Qu’en conclure, sinon que l’aboiement du chien domestique n’est pas un instinct primitif, et qu’au contraire le penchant à se terrer en est probablement un qui disparaît à l’état de domestication ? Veut-on maintenant un exemple d’instinct fortement caractérisé et qui échappe à l’explication par voie héréditaire ? Ch. Darwin lui-même nous le fournira. Les abeilles ouvrières sont stériles ; les abeilles fécondes, les reines, ne sont jamais ouvrières. Impossible de dire ici que l’industrie de ces insectes est une habitude acquise peu à peu par les générations antécédentes et communiquée aux suivantes par l’hérédité, puisque les mêmes abeilles lèguent l’industrie qu’elles n’ont pas et ne transmettent pas la fécondité qu’elles ont. Selon M. Ch. Darwin, les faits de ce genre démontrent que la théorie de Lamarck est une erreur. Il y a plus : avec sa sincérité ordinaire, l’auteur de l’Origine des espèces reconnaît que c’est là contre sa propre théorie une grave objection.

Aussi n’est-ce point dans l’habitude héréditaire, mais dans l’hérédité secondée par la sélection naturelle et par la concurrence vitale qu’il cherche et croit saisir le principe formateur de l’instinct : « Si l’on peut, dit-il, établir la moindre variation dans les instincts, il n’y a aucune difficulté à admettre que la sélection naturelle puisse conserver et accumuler constamment les variations de l’instinct qui peuvent être utiles aux individus ; et je crois voir dans ce fait l’origine des instincts les plus merveilleux et les plus compliqués. » Dans ces lignes si explicites, la force qui conserve et accumule la variation et qui en forme l’instinct, c’est évidemment l’hérédité : l’habitude n’y est pas nommée. Un passage voisin de celui-là n’omet pas seulement l’habitude : il l’exclut en termes exprès du travail par lequel la plupart des instincts sont peu à peu constitués : « Ce serait une erreur de croire que la plupart des instincts aient été acquis par habitude dans une génération, et se soient ensuite-transmis par hérédité aux générations subséquentes. On peut montrer que les instincts les plus étonnans que nous connaissions, ceux de l’abeille, et de beaucoup de fourmis, ne peuvent pas avoir été acquis par habitude. » Voilà l’exacte doctrine de M. Ch. Darwin : il était indispensable de la rétablir littéralement, parce que certains critiques et même certains partisans de ce chef d’école persistent à la confondre avec celle de Lamarck, et à répéter que l’habitude héréditaire est le principe commun de l’une et de l’autre.

Puisque M. Ch. Darwin repousse cette confusion de sa théorie avec une autre plus ancienne, il n’est pas permis de prétendre qu’il y ait sciemment souscrit. Mais on a le droit de démontrer qu’au fond