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étudie toujours l’instinct à deux époques très différentes. On pourrait appeler la première l’époque d’acquisition et de formation, et la seconde l’époque de transmission et d’hérédité. Pendant celle-là, l’animal contracte l’habitude lui-même ; pendant celle-ci, il la reçoit toute faite de ses ascendans. Dans l’origine, la force, qui détermine l’acquisition et la formation de l’habitude, c’est le besoin. Les besoins sont au nombre de quatre : se nourrir, se reproduire, fuir la douleur, chercher le plaisir. « Les animaux contractent, pour satisfaire ces besoins, diverses sortes d’habitudes qui se transforment en eux en autant de penchans auxquels ils ne peuvent résister et qu’ils ne peuvent changer eux-mêmes. De là l’origine de leurs actions habituelles et de leurs inclinations particulières auxquelles on a donné le nom d’instinct. » — Jusque-là, il ne s’agit encore que de l’individu, et Lamarck ne parle guère autrement que Condillac ; mais déjà l’instinct est expliqué par le besoin de l’individu ; déjà, sans que le philosophe s’en aperçoive, le premier principe, le principe déterminant des actes aveugles de l’animal est nettement posé, et la suite de la théorie est réfutée d’avance. Lamarck poursuit néanmoins sa pensée. D’après lui, le penchant des animaux une fois acquis, se propage dans les individus par voie de reproduction. « C’est ainsi que les mêmes habitudes et le même instinct se perpétuent de génération en génération dans les diverses races ou espèces d’animaux. » D’où il résulte en dernière analyse que, selon l’auteur de la Philosophie zoologique, l’instinct est chez les ascendans, à l’origine, une habitude acquise, et chez les descendans une habitude héritée. La première de ces deux assertions n’a pas résisté à la critique. Que penser de la seconde ?

Ne perdons pas de vue que, de l’avis de tous, l’instinct est un premier principe de détermination et que les actes qui dérivent immédiatement d’un tel principe sont les seuls qui méritent le nom d’instinctifs. N’oublions pas non plus que l’habitude, si semblable qu’elle soit à l’instinct, est appelée une seconde nature, non-seulement par Aristote, mais par tout le monde. Ainsi, en dépit des apparentes similitudes, l’instinct s’oppose à l’habitude comme la nature première ou innée s’oppose à la nature seconde ou acquise. Si l’habitude héréditaire se confond avec l’instinct, c’est donc que l’hérédité a l’étrange vertu de transformer la seconde nature en nature première. Qu’on nous dise alors d’où lui vient cette puissance. Sera-ce de la longueur du temps ? Oui, sans doute, si le temps indéfiniment prolongé imprimait par cette durée à l’habitude le caractère d’énergie créatrice, de force commençante ; mais, antique ou récente, l’habitude garde son essence propre, qui est d’exiger un premier acte au moins, produit avant elle, et dont elle deviendra l’habitude. Avec les jours et les années, elle rendra plus