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d’autres verront des héritiers, le grand naturaliste n’aperçoit que des mimes. Quant à Condillac, il réduit autant que possible, on s’en souvient, l’influence de l’espèce sur l’individu ; tellement que parmi les bêtes qui forment une espèce de société, il prétend que chacune est bornée à sa seule expérience et que l’identité des mœurs ne provient que de la similitude des organes. Avec G. Leroy, l’idée de transmission héréditaire se fait jour, mais par échappées plutôt que sous la forme rigoureuse d’une doctrine arrêtée. Ce lieutenant des chasses, qui avait su profiter de ses fonctions pour étudier attentivement certains animaux et qui d’ordinaire leur accorde trop, n’est tombé sur ce point dans aucun excès systématique. Il est pourtant à deux ou trois reprises assez affirmatif. « Il y a, dit-il, une observation à faire sur quelques unes des dispositions que nous considérons comme innées et purement machinales, c’est qu’elles sont peut-être absolument dépendantes des habitudes acquises par les ancêtres des individus que nous voyons aujourd’hui[1] » On le remarquera : ce que G. Leroy propose ici, ce n’est encore qu’une observation, limitée à quelques aptitudes et atténuée par un peut-être. Non que les faits à l’appui lui manquent, il en a recueilli de très significatifs. Par exemple, à l’égard des avantages que le loup tire de la puissance de son odorat, il a constaté la communication de cette qualité à la troisième génération du produit d’un chien avec une louve. En sens inverse, il a vu que les chiens de berger ont rarement le nez fin, parce que de race en race ils ne l’exercent pas, tandis qu’au contraire ils ont l’ouïe fine et le regard perçant. Toutefois, malgré ces phénomènes et les inductions qu’en tire celui qui les invoque, lorsque G. Leroy essaie de définir l’instinct, il reste très près de Condillac, son maître, et assez loin de Lamarck.

À Lamarck appartient en propre la théorie qui ramène l’instinct à l’habitude héréditaire. Il ne faut pas néanmoins chercher dans ses ouvrages une formule aussi brève et aussi précise de sa pensée dominante : on ne l’y trouverait pas. Ce langage est celui de M. Albert Lemoine. Sans être inexact, tant s’en faut, je crains qu’il ne laisse pas voir aussi bien que les expressions de Lamarck lui-même en quoi ce hardi novateur se rattache aux naturalistes qui l’ont précédé. Sa théorie a deux aspects ; M. A. Lemoine n’en a envisagé qu’un seul : examinons-les l’un et l’autre.

Dans sa Philosophie zoologique, publiée en 1809, et dont les idées fondamentales sont rappelées et confirmées dans son Histoire des animaux sans vertèbres, imprimée de 1815 à 1822, Lamarck

  1. Ch. George Leroy, Lettres philosophiques sur l’Intelligence et la perfectibilité des animaux, Paris 1802, p. 227.