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nimal aime cependant : n’appelons pas ce qu’il éprouve de l’amitié ; disons, comme Buffon, qu’il n’a que de l’attachement. Cet attachement, c’est un sentiment ; eh bien, pour avoir un sentiment pareil, une machine suffit, d’après notre philosophe, — en sorte que cette même chose qui à tous ses degrés se nomme toujours l’affection, est éprouvée par l’âme quand c’est l’homme qui la ressent, et par la machine, par la matière, quand c’est le chien qui meurt sur la fosse où est enterré son maître. Voilà où mène une psychologie superficielle, et telles sont les impossibilités et les contradictions de cet automatisme mixte de Buffon que M. Flourens a regardé bien à tort comme un progrès sur l’automatisme cartésien.

Cette doctrine fut combattue par Condillac dans un petit livre d’allure vive et spirituelle qui parut en 1755 sous le titre de Traité des animaux. Autant les considérations développées par Buffon sont majestueuses, graves, et aussi parfois, il faut bien le dire, pénibles et embarrassées, autant la discussion de Condillac est alerte et aisée. On les connaît mieux l’un et l’autre quand on a lu ces deux ouvrages, où s’opposent les caractères de ces esprits si différens. Dans la première partie de son livre, Condillac a l’avantage de l’offensive et il en profite habilement. Il met en plein relief les contradictions de Buffon. À l’égard des bêtes, il montre aussi clairement que le ferait la science actuelle que, si elles sont sensibles, elles ont de toute nécessité quelque espèce de connaissance. Par rapport à l’homme, il demande comment une seule personne peut être composée de deux principes, l’un matériel, l’autre spirituel, et doués chacun d’une manière de sentir qui lui est propre. Cette polémique est curieuse, et presque toujours les argumens de Condillac portent coup. M. Albert Lemoine, qui écrivait un mémoire théorique avant tout, n’était pas tenu d’en parler avec étendue : ceux qui feront une histoire de la question devront au contraire y insister.

Mais l’observation des faits et la découverte des lois qui les gouvernent sont autrement difficiles que la critique des doctrines. Dès que Condillac aborde lui-même la question, son langage a beau rester plein d’assurance, ses pensées sont moins fermes. Buffon avait trop abondé dans le sens de Descartes ; Condillac en revient aux exagérations de Montaigne. C’est qu’au fond, tout en lançant des paroles mordantes aux philosophes qui conçoivent et arrangent la nature au gré de leurs systèmes, il n’est pas si fidèle qu’il le prétend à la méthode d’observation. On ne rencontre pas dans son traité un seul de ces faits dont l’étude accomplie sur le vif donne tant de valeur par exemple aux livres de F. Huber ou de George Leroy. Quoi qu’il en dise, les bêtes qu’il se vante d’avoir regardées,