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qu’un, des machines qui sont jalouses, des machines qui craignent ; allez, allez, vous vous moquez de nous ; jamais Descartes n’a prétendu nous le faire croire. » La critique de Fontenelle était plus froide et plus redoutable : « Mettez, écrivait-il dans une de ses lettres, mettez une machine de chien et une machine de chienne l’une auprès de l’autre, et il en pourra résulter une troisième petite machine, au lieu que deux montres seront l’une auprès de l’autre toute leur vie sans jamais faire une troisième montre. Or nous trouvons par notre philosophie, Mme B… et moi, que toutes les choses qui étant deux ont la vertu de se faire trois, sont d’une noblesse bien élevée au-dessus de la machine. » Par ces deux fragmens, on jugera de la résistance que rencontra la théorie qui substituait le mécanisme à l’instinct.

Au reste, elle est si définitivement abandonnée, elle paraît à l’heure qu’il est tellement inacceptable, que des esprits sérieux ont jugé Descartes incapable d’avoir commis une pareille exagération. En cherchant bien dans ses écrits, ils ont cru y trouver une importante réserve. Selon M. Flourens, l’automatisme cartésien, absolu dans certains passages des œuvres du maître, est dans d’autres endroits fort tempéré. On aurait eu tort de prendre les premiers au pied de la lettre, et de ne les point expliquer et corriger par les derniers qui tranchent la question. — Cette indulgente manière de voir a quelques partisans. Cependant, comme l’ont judicieusement montré MM. F. Bouillier et A. Lemoine, elle ne résiste pas à un examen tant soit peu attentif des textes mêmes qu’invoque M. Flourens. Dans une curieuse lettre à Morus, Descartes, ayant en effet l’air de ne pas vouloir pousser son opinion à l’extrême, disait en termes contenus : « Il faut pourtant remarquer que je parle de la pensée, non de la vie ou du sentiment, car je n’ôte la vie à aucun animal, ne la faisant consister que dans la seule chaleur du cœur. Je ne leur refuse pas même le sentiment, autant qu’il dépend des organes du corps. Ainsi mon opinion n’est pas si cruelle aux animaux qu’elle est favorable aux hommes. » Dans ces lignes, où le philosophe a la prétention de traiter les bêtes avec ménagement, il y a deux phrases significatives que M. Flourens transcrit sans en apercevoir la portée. Descartes accorde à l’animal la vie, mais en tant qu’elle ne consiste que dans la seule chaleur du cœur ; il ne lui refuse pas le sentiment, mais autant qu’il dépend des organes du corps, pas davantage. Ces expressions auraient dû avertir un physiologiste aussi clairvoyant que M. Flourens que la vie et le sentiment, péniblement concédés aux bêtes par Descartes, étaient de nature exclusivement physiologique. Il n’en aurait plus douté s’il avait relu, dans la même lettre, un autre passage plus explicite