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assez grand pour qu’on la poursuive, abstraction faite de toutes les hypothèses, évolutionnistes ou autres. Veut-on absolument la rattacher aux complications systématiques du darwinisme ? C’est par elle encore qu’il est indispensable de commencer, car, si la question, d’origine est soluble, elle ne sera résolue que par la connaissance des faits ; si au contraire ce problème de la descendance zoologique de l’homme est du même genre que celui de la quadrature du cercle, les faits seuls nous l’apprendront. Dans l’un comme dans l’autre cas, l’étude des phénomènes passe la première, et ne sera exacte que si elle a lieu en dehors et au-dessus des discussions retentissantes.

Pour déterminer par l’analyse les caractères, les fois et la nature de l’instinct, M. Albert Lemoine s’était placé à ce point de vue élevé. Ce psychologue éminent, auquel de solides connaissances en physiologie donnaient une autorité particulière, était préparé depuis longtemps à pénétrer, sans s’y égarer, dans ces régions obscures où s’agitent les facultés de la bête. Avant de s’y engager, il s’était habitué à distinguer ce qui se passe dans les états qui sont comme la pénombre de l’âme humaine. Dans le rêve, dans le sommeil, dans le somnambulisme, dans l’aliénation mentale, la lumière de la conscience ne s’éteint pas sans doute, mais elle perd beaucoup de sa clarté. L’observation directe de ces modes de l’existence est tantôt, difficile, tantôt impossible ; le savant qui se propose de les connaître et de les décrire est obligé de les rapprocher des faits analogues qui s’accomplissent dans le plein jour de la conscience. Il fait donc alors littéralement de la psychologie comparée. Il ne dépasse pas encore, il est vrai, l’horizon de la nature humaine ; mais à force de regarder méthodiquement dans notre vie crépusculaire, son œil devient habile à percer les voiles dont s’enveloppe la vie de l’animal.

Déjà M. Albert Lemoine possédait à un haut degré cette habileté quand il écrivit la remarquable étude psychologique sur le sommeil et sur le somnambulisme que la Revue[1] annonçait au public il y a dix-huit ans. D’après ce premier essai, il était aisé de prévoir que l’auteur, en persévérant, deviendrait maître dans ce genre d’investigation. Cette prévision, ses œuvres ultérieures l’ont confirmée, notamment celles qui sont intitulées : l’Aliéné, l’Âme et le Corps, la Physionomie et la Parole. Les problèmes délicats que l’on rencontre sur les confins de la matière et de l’esprit, il en avait fait son domaine ; d’autres, il est vrai, les ont abordés en même temps que lui, personne n’y a apporté plus de dextérité, de finesse, de

  1. Voyez, dans la Revue du 15 avril 1858, une étude sur le Sommeil et le Somnambulisme au point de vue psychologique, par l’auteur du présent travail.