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avec Philippe, fils de Louis, comte d’Evreux, réunit à un royaume ne relevant pas de la couronne de France, un comté situé en Normandie et qui en relevait au contraire directement. Ainsi le roi de France allait avoir au nombre de ses vassaux deux rois qui, par leur domaine royal proprement dit, échappaient à sa suzeraineté. Telle était l’une des funestes conséquences du système féodal : il ouvrait la porte à l’étranger ; il permettait à un baron d’être roi, et conséquemment suzerain au dehors, tout en demeurant vassal au dedans. Quelque distinction que les juristes prissent soin d’établir entre les devoirs respectifs que cette double situation lui créait, un fait n’en subsiste pas moins, c’est qu’un seigneur du royaume, vassal d’un prince étranger ou suzerain lui-même, avait à ce titre des intérêts souvent opposés à celui du roi dont il relevait, par sa seigneurie ; il était introduit à l’avance avec ses troupes au cœur du pays dont par ses attaches au dehors il devenait l’adversaire, bien qu’il en demeurât l’un des barons. Un monarque se voyait donc condamné à garder un ennemi redoutable au sein de ses états. C’est ce qui arriva tant de fois en Allemagne ; c’est ce qui, au siècle dernier, lors de la guerre de la succession d’Autriche, porta à l’empire un coup mortel. L’électeur de Brandebourg disparut forcément derrière le roi de Prusse, et le vassal de l’empire d’Allemagne, devenu souverain complètement indépendant d’un territoire extragermanique, travailla naturellement à s’affranchir de la sujétion impériale ; il devint l’ennemi de la maison d’Autriche et mit tout en œuvre pour s’agrandir aux dépens de celle-ci. Le roi d’Angleterre, au XIVe siècle, en agit pareillement à l’égard du royaume de France. Sa préoccupation naturelle fut d’échapper à la suzeraineté de Philippe de Valois, que lui imposait la possession du duché de Guienne et du comté de Ponthieu. Tant qu’il ne se sentit pas assez fort pour lutter contre un prince auquel il allait disputer même le droit de régner sur la France, il se vit contraint de demeurer son vassal sur le continent. Edouard III dut rendre à Philippe de Valois cet hommage-lige qui imposait envers le seigneur la dépendance la plus étroite et qu’exigeait le monarque français. Le roi d’Angleterre se soumit à cette obligation, non sans y avoir tout d’abord opposé quelque résistance. C’était aussi l’hommage-lige que le roi de Navarre, en sa qualité de comte d’Évreux, devait au roi de France. Plus faible que le roi d’Angleterre, il était moins en mesure de se refuser à cet acte de dépendance ; mais, si l’hommage-lige était du par ces deux vassaux, les habitudes de la féodalité leur fournissaient un moyen extrême de s’y soustraire.

Le seigneur avait envers son vassal des devoirs corrélatifs de ceux du vassal envers lui ; il devait secours à ce vassal, s’il lui était fait violence. Le vassal avait le droit de sommer tous les vassaux