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perdra certainement ses vaisseaux, ses colonies, son commercé avant d’en voir la fin ; que son armée d’Algérie cessera d’être pour elle une cause d’anxiété, et que Méhémet-Ali sera jeté dans le Nil. » Voilà le langage « sédatif » dont il veut qu’on use. Palmerston ne s’était pas mépris sur la faiblesse de Méhémet-Ali : celui qu’on avait pris pour un second Alexandre fut battu presque honteusement. M. Thiers accusait M. Guizot de s’être laissé enguirlander et tromper à Londres ; mais M. Guizot, une fois les voiles déchirés, avait promptement compris que M. Thiers ne réussirait pas à provoquer une entente directe entre le sultan et Méhémet-Ali. Il épousait le sentiment du roi qui ne voulait pas jeter la France dans une guerre pleine de périls, seule contre toute l’Europe et sans autre allié qu’un pacha dont l’empire gonflé avait crevé sous la première piqûre. M. Thiers dut quitter le pouvoir ; il n’avait pas désiré la guerre au début, il était allé, dans des momens d’épanchement, jusqu’à se plaindre des velléités belliqueuses du roi, il s’était enflammé lentement, mais enfin il avait amené les choses à ce point que la guerre était devenue imminente : le roi et les chambres durent choisir entre lui et une lutte avec l’Europe coalisée. Le roi avait sans doute ressenti aussi vivement que personne l’injure faite à la France ; mais il connaissait mieux l’Europe que ceux qui, dès cette époque, croyaient pouvoir la braver et qui rêvaient de recommencer l’épopée révolutionnaire et impériale. M. Thiers lui-même avait été très raisonnable dans son langage officiel ; sa dernière note à lord Granville séparait nettement la question de la Syrie et la question d’Égypte : il abandonnait la Syrie à la fortune de la guerre, et considérait seulement comme un casus belli toute tentative faite pour déposséder Méhémet-Ali en Égypte. M. Thiers fut sacrifié à la nécessité de la paix : son programme ne le fut pas et il fut adopté par M. Guizot.

Palmerston avait assez triomphé : il avait isolé la France, il avait soufflé sur l’empire asiatique de notre protégé, il avait fait entendre le canon anglais dans le Levant. M. Guizot reçut la réponse faite à la dernière note de M. Thiers (2 novembre 1840). Palmerston exprimait la satisfaction qu’il éprouvait en voyant la France attachée au principe de l’intégrité de l’empire ottoman : il ne faisait pas même allusion à la menace du casus belli qui pourrait résulter d’une agression contre l’Égypte : cette question égyptienne était une affaire entre le sultan et le pacha ; le sultan verrait jusqu’où il pourrait pousser la générosité envers son vassal. Ce langage froidement ironique fut son seul cri de victoire ; il était de ces hommes qui, lorsqu’ils ont la proie, se soucient peu de l’ombre. Dans les débats du parlement, il couvrit la France de fleurs ; jamais il n’était venu à personne la pensée de l’insulter, de la blesser ; la France