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équivalentes marchait à la tête des habitans contre le coupable ; on détruisait sa maison, on attaquait son château ; le roi venait même parfois au secours de ces bourgeois. La milice communale avait en outre un service de garde aux murailles de la ville, dont l’entretien était confié aux magistrats municipaux ; elle veillait à la sûreté intérieure et faisait le guet. Toutes les communes n’avaient sans doute pas la même part d’autonomie, et ne se montraient pas également hostiles au seigneur, mais l’armement de leurs habitans n’en offrait pas moins un danger pour les nobles qui avaient là un nouveau motif de redouter la présence des milices à l’armée, où elles se signalèrent plus d’une fois par leur ardeur. A Courtray, en 1302, les gens des communes engagèrent vigoureusement l’action ; mais la noblesse, jalouse de cette infanterie qui allait lui ravir l’honneur de la journée, lui passa sur le corps pour se précipiter sur l’ennemi. Les chevaliers tombèrent dans des canaux qu’ils n’avaient pas aperçus et y trouvèrent la mort. Il n’était terme de mépris que les gentilshommes ne prodiguassent à cette piétaille, dont la perte leur importait peu. A la bataille de Crécy, voyant les arbalétriers génois reculer et se débander, le roi, au lieu de donner l’ordre de les appuyer, s’écria, écrit Froissart : « Or tos, or tos, tués toute ceste ribaudaille, ils nous ensonnient et tiennent la voie sans raison. » De tels sentimens persistèrent même après la terrible leçon de Poitiers. En 1415, Jean de Beaumont répondait à l’offre que faisait la ville de Paris d’envoyer à la noblesse mille arbalétriers : « Qu’avons-nous à faire de l’assistance de ces gens de boutique ! » Et Pierre de Fénin raconte, au sujet du combat de Senlis, livré en 1418, qu’il se trouvait là un capitaine de brigands, c’est-à-dire de soudoyers, qui avait foison de gens de pied, lesquels furent taillés en pièces, et leur mort excita grande risée parce que c’étaient des gens de pauvre état.

L’arrivée au pouvoir de Philippe de Valois, prince imbu des préjugés de sa caste, ne pouvait que fortifier cette malveillance de la noblesse envers les roturiers, inspirer aux gentilshommes une prétention plus jalouse de confisquer pour eux seuls le métier des armes. Leur esprit belliqueux trouva largement à se satisfaire, au préjudice du repos et du bonheur de la France.


II

La possession de la Guienne par le roi d’Angleterre était pour notre nation un danger de tous les instans. A ce péril vint s’en ajouter un autre : Philippe de Valois, en montant sur le trône, rendit à Jeanne, fille de Louis X, la Navarre que Philippe le Long et Charles le Bel avaient jointe à leurs états. Le mariage de Jeanne