Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indispensable, c’est la certitude du libre passage pour leur commerce dans le Bosphore et les Dardanelles, et cela, ils peuvent l’obtenir par traité. »

Les succès d’Ibrahim-Pacha ne l’alarmèrent que quand la France apparut sur le théâtre des hostilités. On sait qu’après la bataille de Konieh (21 décembre 1832) le sultan implora les secours de la Russie. Avant que la flotte russe ne fût arrivée, l’amiral Roussin, ambassadeur de France, offrit sa médiation, et la Turquie demanda à la Russie de différer l’envoi de l’escadre de Sébastopol.

Quand Palmerston apprit ces nouvelles à l’ambassadeur de Turquie, Namik-Pacha l’écouta en silence et se contenta de lui répondre : « Et où est l’Angleterre dans tout ceci ? » (Mémoires de Greville, tome II, page 367.) Ce mot fut-il une révélation pour Palmerston, qui jusque-là avait semblé un spectateur assez indifférent des événemens ? Mehemet-Ali refusa les propositions de l’amiral Roussin, et la Russie en profita pour intervenir et pour conclure un traité (8 juillet 1833) qui fermait les Dardanelles aux vaisseaux de guerre de toutes les puissances occidentales. Les protestations de l’Angleterre et de la France restèrent vaines.

Pendant cette année 1833, Mme de Lieven, qui reflétait comme un miroir les passions de Saint-Pétersbourg, disait à qui voulait l’entendre, dans la société anglaise, que Palmerston était « un très petit esprit, lourd, obstiné ; » elle « s’étonnait que lady C…, avec sa finesse, en fût éprise. » (Mémoires de Greville, tome II, page 357.) Palmerston se vengeait de ces propos en envoyant à Constantinople, au lieu d’un chargé d’affaires, un ambassadeur, Stratford Canning, qu’il savait être personnellement désagréable à Saint-Pétersbourg, que M. de Nesselrode qualifiait, dans une lettre à Mme de Lieven, « d’impraticable, soupçonneux, pointilleux, défiant. » Palmerston faisait dire à Mme de Lieven qu’il avait choisi Canning à dessein, qu’il était temps que la hauteur russe descendît d’un cran (a peg). (Mémoires de Greville.)

L’orage qui s’était formé en Orient se dissipa ; mais il resta chez les représentans de la Russie à Londres un grand fonds de ressentiment contre Palmerston. Mme de Lieven disait à Greville (Journal de Greville, 18 février 183/1) qu’il était impossible de décrire le mépris et l’aversion que tout le monde diplomatique ressentait pour le ministre anglais, « lui surtout, » en montrant Talleyrand, qui était assis près d’elle. M. de Bulow ne faisait pas mystère de son antipathie. Mais Palmerston, attaqué dans son propre ministère, peu aimé de ses collègues, était soutenu par lord Granville, qui avait à Paris une situation exceptionnelle comme la diplomatie moderne n’en connaît plus guère ; celui-ci avait conçu la plus haute idée du ministre des affaires étrangères. Lady Granville, une des