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des contrats, des hypothèques, toutes choses concrètes et palpables. La bonne volonté des facultés libres est un fait purement moral dont rien ne répond, qui est laissé à leur libre arbitre et dont l’état ne peut au hasard endosser toutes les conséquences. Il ne peut se subordonner d’avance, dans une partie grave de ses attributions, à des corps privés qui échappent entièrement à son gouvernement.

En se réservant par exemple la rédaction des registres de l’état civil, l’état n’a pas obéi à un sentiment d’hostilité contre le clergé ; mais il a obéi au sentiment de sa responsabilité propre. Les actes de l’état civil sont des pièces authentiques qui font foi devant les tribunaux. Or c’est l’état qui est chargé de la justice. Il en est responsable auprès des citoyens ; comment le pourrait-il être si les conditions élémentaires de la vie sociale, la naissance et la mort, la filiation, l’adoption et le mariage, n’étaient pas sous sa juridiction directe ? Sans doute le clergé pouvait offrir des conditions de capacité et de moralité égales à celles des fonctionnaires de l’état : un curé de village vaut bien un maire de village ; seulement l’état a voulu que les garanties primordiales de la vie civile relevassent directement de l’autorité publique, de laquelle relèvent tous les intérêts civils. Il eh est des grades comme des actes civils. Moralement parlant, ils peuvent être aussi bien décernés par Pierre que par Paul ; mais ce n’est pas la question. Il s’agit de savoir si l’état peut s’en rapporter à autrui autant qu’à lui-même, et si la valeur légale des diplômes doit résulter d’une action purement privée.

On ne peut exercer une fonction publique qu’à la condition d’être fonctionnaire public. Ouvrir ou fermer des carrières réglementées par la loi est une fonction publique : elle ne peut donc être exercée par des corps libres et indépendans. Si on admettait une fois ce droit, il faudrait admettre en même temps comme contre-poids, pour garantir les intérêts de l’état, un droit de contrôle et de surveillance, et même un droit de révision ; mais dès lors les facultés libres ne seraient plus facultés libres : elles deviendraient facultés de l’état. Il ne s’agirait plus de liberté d’enseignement : il s’agirait d’instituer, au nom de l’état, des facultés catholiques de manière à partager l’enseignement supérieur comme on se partage l’enseignement primaire. On voit à quelles conséquences graves nous conduit le principe de la liberté des grades. Les jurys mixtes ne sont nullement un moyen d’atténuer ces conséquences : elles sont au contraire un des chemins qui peuvent y conduire.

Nous touchons ici au point le plus délicat de la question. Il est évident que l’état et ses adversaires ne s’entendent en aucune façon sur le principe de la loi. L’état accorde et veut accorder la liberté