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membres jurent qu’ils ne fuiront jamais en bataille plus loin que quatre arpens et mourront plutôt que de se laisser faire prisonniers.

Tandis qu’à l’avènement des Valois cet esprit chevaleresque avait pris chez la noblesse plus d’empire que jamais, la guerre tendait précisément, en présence de nécessités nouvelles, à abandonner la façon de combattre si chère à nos gentilshommes. Toute la vieille organisation de l’armée féodale s’en allait pièce à pièce, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure. L’ancienne hiérarchie des fiefs commençait à être bouleversée. Par suite d’acquisitions, d’héritages, d’usurpations ou de conquêtes, tel petit seigneur, tel simple vicomte était devenu un potentat, tandis que d’autres, originairement plus haut placés que lui, se voyaient condamnés à être aux gages d’un grand feudataire. Depuis le règne de Philippe le Bel, le nombre de ceux-ci avait beaucoup diminué, et il ne restait plus guère entre ceux qui jouissaient des droits régaliens que le comte d’Artois, le comte de Flandre et le duc de Bretagne, non compris le roi d’Angleterre, vassal du roi de France pour la Guienne et le comté de Ponthieu. Mais, si le nombre des barons réellement souverains avait diminué, la puissance de ceux-ci ne s’en était qu’accrue davantage, et les guerres qui menaçaient d’éclater entre eux et leur suzerain un peu nominal devaient être conséquemment plus étendues et plus redoutables ; elles tendaient à devenir de véritables guerres d’état à état, ou si l’on veut, de nation à nation, à être en un mot ce que l’on peut appeler des guerres politiques. La noblesse ne pouvait d’ailleurs que les favoriser. Cependant les armées plus considérables que ces guerres exigeaient devaient avoir pour conséquence de rendre plus fréquent l’appel du ban et de l’arrière-ban, d’armer sans cesse les roturiers, les gens des communes. Déjà Philippe le Bel avait plusieurs fois ordonné ces levées en masse. Or une telle nécessité se produisait au moment où les compagnies soldées se substituaient de plus en plus aux levées féodales. Les hommes du tiers-état, les bourgeois et les vilains restaient dans le principe à l’armée, subordonnés à leurs seigneurs et commandés par les prévôts de ceux-ci. Mais quand les gentilshommes au service d’autres seigneurs commencèrent à ne plus paraître à la tête de leurs vassaux, quand ils se firent remplacer pour le service de leurs fiefs afin d’aller guerroyer avec d’autres bandes combattant parfois dans les rangs opposés à ceux où se trouvaient leurs remplaçans, le lien qui unissait vassaux et tenanciers au seigneur ne subsista plus en réalité sur le champ de bataille, d’autant plus qu’il n’était pas rare alors qu’un noble possédât à la fois plusieurs fiefs relevant de suzerains différens et en guerre l’un avec l’autre. La noblesse était donc exposée à perdre dans l’armée la place prépondérante et souvent presque exclusive qu’elle y avait occupée. Heureusement pour elle,