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dans le pays, du moins dans le monde politique, un certain malaise, des menaces, des défis irritans, un penchant singulier à faire de toutes les questions des prétextes de crises, où l’on semble jouer le tout pour le tout.

C’est peut-être un peu la faute du gouvernement et surtout de la majorité parlementaire, qui n’est point certainement arrivée jusqu’ici à se constituer, à s’organiser dans des conditions suffisantes d’action régulière et efficace. Le ministère a sans doute à compter avec bien des embarras et bien des difficultés : il est obligé de faire face à toutes les nécessités d’une situation très complexe qui lui impose parfois des concessions ou des atermoiemens, mais enfin, après trois mois d’existence, il a donné désormais assez de gages à cette république constitutionnelle qui est le régime légal de la France, dont il est l’expression vivante au gouvernement, pour avoir le droit de préciser son action, de faire sentir son autorité, d’accentuer son initiative. Il le peut et il le doit, d’autant plus que c’est le seul moyen d’arriver à coordonner cette majorité de la chambre des députés qui sent visiblement le besoin de soutenir le ministère, mais qui est composée d’élémens trop multiples et est agitée d’instincts trop divers pour être encore une vraie force de gouvernement. Les différens groupes républicains qui forment la majorité de la chambre sont véritablement trop occupés jusqu’ici à parler, à délibérer, à négocier entre eux. Le centre gauche négocie avec la gauche, qui à son tour négocie avec l’union républicaine, et tous ensemble, présidens ou anciens présidons de tous les groupes, ils s’en vont négocier avec M. le garde des sceaux, avec M. le ministre de l’intérieur, pour savoir si on doit faire ou ne pas faire la loi municipale, si cette loi doit être fragmentaire ou provisoire, comment on pourrait bien arrivera une transaction sur la nomination des maires. Tout cela, il faut en convenir, est assez puéril ou assez prétentieux, et ne sert qu’à rendre plus sensible l’incohérence d’une situation parlementaire encore mal définie. La vérité est qu’une majorité sérieuse et décidée n’existe pas, et que, si elle veut se former, il faut qu’elle se résigne à laisser de côté bien des déclamations ou bien des propositions chimériques, pour aborder pratiquement la situation, pour se placer dans les seules conditions où elle puisse concourir à une action commune avec le gouvernement. Il faut qu’elle accepte toutes les nécessités de modération et de réserve que les circonstances imposent plus que jamais. Le ministère qui existe aujourd’hui a en définitive le mérite d’être l’expression la plus approximative de la seule politique possible au moment présent, d’offrir toute garantie aux républicains qui poursuivent l’affermissement de la république, et aux conservateurs qui cherchent le bien du pays dans le cadre des institutions où la fortune les a placés ; mais pour qu’il puisse remplir sa tâche laborieuse, à la fois libérale et conservatrice, il faut