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turc ? Nous attendrons de le voir pour y croire. Le moment viendra, observe-t-on, et lord Derby lui-même le laisse pressentir, où une médiation pourra être efficace, où il sera utile d’arrêter les événemens, de séparer les combattans, et alors on avisera, on se mettra d’accord pour agir. Fort bien : cela veut dire que la neutralité paraît aujourd’hui un moyen commode de se tirer d’embarras, parce qu’on ne peut pas s’entendre, parce que la question est trop compliquée, mais qu’on se réserve de s’entendre et d’intervenir quand la question sera un peu plus compliquée encore.

A-t-on oublié que, lorsqu’une guerre éclate, on sait comment et quand elle s’engage, on ne sait jamais quels développemens elle pourra prendre, comment elle se dénouera, quelles passions, quels élémens de toute sorte elle finira par mettre en mouvement ? Le cabinet anglais n’a point reculé récemment devant la résolution hardie de refuser son concours à des combinaisons qui lui paraissaient démesurées ou peu praticables, et si cet acte a profondément retenti partout, ce n’est pas parce que l’Angleterre proclamait la non-intervention, c’est au contraire parce qu’elle agissait à propos, avec un juste et vigoureux sentiment de la situation du monde ; elle redressait une politique qui risquait de s’égarer. Elle ne serait point certes intéressée à s’abstenir de toute action prudemment combinée qui aurait pour objet, selon l’expression de lord Derby, de prévenir « une convulsion générale dépassant les limites de l’Europe et amenant de nombreuses complications qu’il serait difficile de prévoir. » La France, pour sa part, est une des puissances qui peuvent parler le plus librement et avec le plus de désintéressement de toutes ces affaires, et il est au moins étrange que la commission du budget, par une coupable indiscrétion, ait cru pouvoir divulguer les explications de M. le ministre des affaires étrangères, interpréter à sa façon le rôle de notre diplomatie, au risque de la mettre en suspicion auprès de certaines puissances. La France n’a sûrement aucune préméditation agitatrice, elle n’a et ne peut avoir que la pensée de joindre sa bonne volonté aux efforts de ceux qui travaillent pour la paix du monde. Il nous sera seulement permis de dire qu’il y a interventions et interventions, et que, si on doit un jour ou l’autre en revenir à tenter une grande et décisive médiation européenne, mieux vaudrait encore ne point attendre que l’Orient ait été mis en feu et dévasté par toutes les passions de la guerre. Chose singulière, les hommes d’état des plus grands pays ont le sentiment des nécessités et des devoirs de cette situation critique, ils ne diffèrent pas d’opinion sur les points les plus essentiels ; ils comprennent tous que la paix de l’Europe est le premier des biens à sauvegarder, que ces populations orientales qui s’agitent ont droit à des garanties pour leur foi, pour leur nationalité comme pour leur bien-être, que l’empire turc ne pourrait pas être mis aux