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n’ait obéi qu’à un sentiment de vengeance personnelle contre le séraskier, ou qu’il ait été poussé par une surexcitation politique, ce déchaînement de fanatisme meurtrier n’est pas moins le signe d’une situation où tout est possible. Le nouveau sultan, Mourad V, si bien intentionné qu’il puisse être, arrive certainement au trône dans des circonstances terribles dont il paraît lui-même sentir le poids. A travers tout cependant, ce règne, qui date à peine d’un mois, ressemble à un allégement pour la Turquie, à une sorte de trêve. Avant la dernière révolution, avec Abdul-Azis, l’empire ottoman allait à une ruine infaillible et prochaine. Aujourd’hui, quelles que soient les difficultés du moment, il y a au moins l’intention, l’apparence d’une politique nouvelle, et un des premiers actes du gouvernement de Mourad a été de promulguer une amnistie, de prendre l’initiative d’un armistice dans les provinces insurgées, de témoigner, dans toutes ses communications avec l’Europe, la volonté de réaliser les réformes nécessaires. Sous ce rapport, malgré toutes les complications intimes et des inquiétudes visibles, la révolution qui s’est accomplie au dernier jour de mai n’a point été évidemment une aggravation, elle a eu plutôt l’avantage d’offrir une possibilité d’amélioration, d’apaisement. L’Europe, de son côté, a semblé tout d’abord le comprendre ainsi ; sa première impression a été que ce qu’elle avait de mieux à faire était d’attendre le gouvernement ottoman à l’œuvre, de lui laisser le temps de dévoiler et de préciser la direction de sa politique, de donner spontanément des gages de ses intentions. Les événemens de Constantinople ont paru être, pour elle comme pour la Turquie, une sorte de point d’arrêt, de halte qui lui a permis de se reconnaître, de se dégager de l’impasse où l’avait placée le mémorandum de Berlin. Ce mois qui vient de s’écouler a été employé justement à la réflexion, et peut-être par suite à un effort de rapprochement entre des politiques qui ont failli se heurter il y a quelques semaines.

Au fond, à regarder les choses de près, il n’est point douteux qu’un singulier travail s’est accompli ou tend à s’accomplir dans quelques-unes des principales chancelleries de l’Europe. Au premier moment, au. lendemain du mémorandum de Berlin et du refus cassant que le cabinet anglais opposait à cet acte diplomatique, il y a eu visiblement entre l’Angleterre et la Russie un certain choc ou tout au moins un froissement assez vif. À Londres, quoiqu’on n’ait jamais voulu l’avouer, il y avait le ressentiment d’une exclusion blessante, du procédé des puissances du nord demandant à la Grande-Bretagne de sanctionner et d’appuyer un acte sur lequel elle n’avait point été appelée à délibérer. À Ems et à Saint-Pétersbourg, l’opposition anglaise était considérée presque comme une offense pour la Russie, et elle avait laissé une amertume dont les journaux russes du reste n’ont pas gardé le secret. L’antagonisme semblait se raviver dans son âpreté entre les deux pays ou entre