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la poitrine, le dos, avec quel soin, avec quelle sincérité il en a interprété l’ensemble et les détails ! On n’a pas vu souvent un corps de plâtre modelé avec cette finesse, avec cet amour du vrai, un corps de plâtre qui simule à ce point les rondeurs, les méplats, les inflexions, la souplesse de la chair. Un jour qu’il était favorablement éclairé, ce corps nous a fait illusion, nous y avons vu courir la vie et le sang. Un si beau début a suffi pour mettre M. de La Vingtrie en lumière, il a obtenu d’emblée une médaille de première classe. Il lui reste à nous faire voir que son imagination est aussi inventive que sa science est précoce, il nous prouvera qu’il sait trouver des sujets et faire dire à une tête quelque chose d’inédit.

A quelques pas du Charmeur de M. de la Vingtrie, l’Eros de M. Coutan se dressait fièrement sur sa sphère, qu’il touche à peine du bout du pied. Cet Eros, envoyé de Rome, a été jugé digne, lui aussi, d’une première médaille. La tête inclinée, le jeune dieu vient d’apercevoir quelque Hippolyte, qu’il se propose de frapper d’un trait mortel. Il tient d’une main son grand arc, de l’autre il saisit une flèche dans son carquois suspendu à son épaule. Il soulève déjà et replie sa jambe droite pour prendre son essor, il va planer dans les airs, il y guettera le moment de viser sa proie. C’est un pouce bien intelligent qui a pétri ce jeune corps, dont la légèreté égale la grâce hardie et provocante ; une colombe est venue se blottir sous son talon, ne craignez point qu’il la meurtrisse. On a reproché à cette statue quelques maigreurs de dessin. La nouvelle école encourt volontiers ce genre de critiques ; si vous aimez les contours gras et la richesse des formes, accusez-la de sécheresse, vous ne pourrez guère l’accuser de rhétorique,. L’Eros nous rappelle en quelque, mesure le merveilleux David par lequel a débuté au Salon M. Mercié. Ce David est un mauvais garnement, un gavroche hébraïque, ennobli par sa fierté et par le fatalisme oriental que respirent son front et sa bouche. L’Amour de M. Coutan est un méchant gamin, un espiègle né pour les tours d’écolier ; mais il appartient par sa grâce ailée à la famille des Olympiens ; le Cupidon du Vatican ne le renierait pas. Son charmant visage exprime la dureté impitoyable d’un dieu qui peut frapper impunément, on ne lui rendra pas les coups qu’il donne, il est à l’abri des représailles ; à qui s’en prendra sa victime ? le bourreau s’est envolé. M. Coutan a l’heureuse faculté de renouveler les vieux sujets, de refrapper à son empreinte les vieilles médailles ; le très remarquable bas-relief où il a représenté Œdipe el le Sphinx en fait foi. Son sphinx au corps de lion et à la tête de femme est accroupi sur un rocher, nous apercevons de profil sa face terrible. Il vient d’allonger sa griffe sur l’épaule d’Œdipe, qui nous montre sa poitrine magistralement modelée et tourne