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oratoires, quand il est tout seul. Le poète qui compose regarde en dedans, et, s’il y voit trouble, il se gratte la joue ou il se tire la barbe, ou il se frappe le front pour s’assurer qu’il y a quelqu’un ; mais il ne cherche pas la muse au ciel, il sait qu’elle n’est nulle part ou qu’elle est en lui. M. Allouard, au surplus, avait affaire à un barde aveugle, et c’est bien ainsi qu’il l’a représenté ; il fallait du moins lui donner le geste incertain et incorrect d’un homme qui n’y voit pas. Peut-être ce faux aveugle a-t-il déployé son bras droit pour attester le ciel que l’artiste qui vient de travailler à sa gloire est un sculpteur de grande espérance, qu’il a fait beaucoup de progrès en peu d’années. Cette cérémonie était inutile, personne ne doute du talent de M. Allouard, et le jury n’a fait que son devoir en médaillant son Ossian.

M. Aube a donné un geste aussi heureux que naturel à sa charmante statue de Pygmalion. Voilà un ouvrage où tout se tient, où l’idée maîtresse règne en souveraine. M. Aube nous montre la statue de Pygmalion au moment où elle commence à s’animer. « Les dieux, touchés de sa prière, animèrent son œuvre. » Ce visage est encore à demi pétrifié, mais il s’assouplit, la bouche s’entr’ouvre, la nuit s’éclaire, c’est un crépuscule douteux. Les deux bras, portés en avant et mollement infléchis, semblent sortir d’un long engourdissement, ils s’essaient à la vie ; on vient de donner la liberté à ces deux captifs, ils ne savent pas bien ce qu’ils en doivent faire. : On pourrait reprocher à M. Aube que sa statue n’a pas précisément la figure d’une Galatée sculptée par un artiste qui fut roi de Chypre ; on pourrait lui représenter qu’elle a le type moderne, même assez parisien, et qu’une Parisienne eût-elle été changée en pierre, il ne serait pas besoin d’un si grand miracle pour la dégourdir. La Galatée de M. Aube n’a pas la beauté classique, mais elle a de l’expression, et, s’il faut opter, notre choix est fait.

M. Hugoulin a su concilier le classique et l’expression dans la tête de son Oreste réfugié près de l’autel de Pallas. Par un grand geste à la fois tragique, simple et abandonné, il entoure de ses deux bras languissans l’autel tutélaire au pied duquel il s’est laissé tomber. On lit sur son visage l’égarement et la douleur ; mais sa bouche entr’ouverte exprime une certaine détente, la convalescence d’une folie qui a trouvé son médecin. La statuette de Minerve, sa lance à la main, semble défendre son protégé contre la meute qui le poursuit ; elle a l’air de dire aux furies et à leurs serpens : il est à moi, vous n’y toucherez pas ! Il y a de la grandeur dans cette œuvre fortement sentie et bien raisonnée. Pourquoi M. Hugoulin n’a-t-il pas rapproché du spectateur la figure de son Oreste ? Il la dérobe, il la fait fuir ; il nous oblige à la chercher. Quand il