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nouvelle cause d’appauvrissement pour bon nombre de gentilshommes, et en revenant de captivité, le chevalier, l’écuyer, ne se montraient que plus âpres au pillage, plus en quête de butin. Les gains énormes qu’on réalisait en faisant des prisonniers étaient cause qu’on se les disputait parfois avec beaucoup d’acharnement. Il n’était pas rare que plusieurs prétendissent avoir droit à toucher la rançon, parce qu’ils soutenaient chacun avoir le premier mis la main sur le captif ; il en résultait des litiges que l’on ne vidait pas toujours aussi cruellement que le fit une fois Du Guesclin, qui ordonna de massacrer les prisonniers, parce que les vainqueurs ne pouvaient s’entendre sur leur partage, car les cours connaissaient au besoin de pareilles contestations. C’est un litige de ce genre qui a permis à M. Luce de déterminer sur quel point du territoire guerroyait Du Guesclin en 1357, le capitaine breton ayant alors pour compagnons Olivier de Porcon et Jean Hogar, qui suivaient l’un et l’autre cette année-là comme écuyers Guillaume de Saint-HUaire, sire de Montagu ; ils s’étaient rendus maîtres, non loin de Fougères, de la personne du prisonnier d’un écuyer français, Jean de Chaponnois, appelé Jean Berkeley, et cela au mépris du sauf-conduit dont l’Anglais s’était muni pour aller se procurer l’argent de sa rançon. Jean de Chaponnois, exposé à perdre les 15,000 livres tournois dont il avait taxé son prisonnier, assigna devant le parlement les deux compagnons de Du Guesclin, qui furent condamnés à restituer Jean Berkeley à son premier maître et à payer au roi une somme considérable. La vente des sauf-conduits était une autre source de revenus et elle prit de grands développemens pendant la guerre d’Edouard III contre Philippe de Valois et le roi Jean.

Les nobles avaient donc tout intérêt à ce que les guerres se prolongeassent ou plutôt se renouvelassent fréquemment. Ayant pris l’habitude de cette existence aventureuse, durant laquelle ils se reposaient des hasards et des dangers qu’ils avaient courus et qui les attendaient le lendemain en menant joyeuse vie, ils s’ennuyaient dans leurs manoirs solitaires, au milieu de paysans auxquels ils étaient devenus étrangers ; ils ne se souciaient plus d’exercer par eux-mêmes leur juridiction, dont ils confiaient l’administration à des juges, à des prévôts subalternes, et sur laquelle d’ailleurs le roi empiétait de plus en plus à la grande satisfaction des populations. La plupart des nobles ne s’occupaient que de la guerre, n’avaient d’autre instruction, d’autres divertissemens que ce qui s’en rapprochait. Au lieu de surveiller les cultures de leurs domaines, de pourvoir à la bonne administration de leur maison, ils se livraient à la chasse et prenaient part à des joutes et des tournois ou ils rivalisaient d’agilité et d’adresse. Dans ces exercices, ils apprenaient à manier des armes devenues de plus en plus lourdes et à se