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qui n’ont pas de lignes ; la couleur est nécessaire pour exprimer la beauté du diable, elle ne l’est pas moins pour nous réconcilier avec certains visages déplaisans, dont la laideur n’est pas rachetée par la puissance du caractère. Ce sont là des réflexions que fait chaque année le public en parcourant des yeux la foule des bustes que renferme le Salon. A vrai dire, en s’ingéniant un peu, on se tire quelquefois d’un mauvais pas ; mais beaucoup de sculpteurs ne s’ingénient pas assez, soit pour sauver les défauts d’un modèle qui leur résiste, soit pour conserver au costume moderne sa physionomie, tout en lui prêtant un peu d’ampleur et de majesté. D’autres coupent mal leurs bustes, qui ont l’air tronqué et ne produisent pas l’impression d’une œuvre terminée et complète. Ce n’est pas un objet d’art que la première tête venue, plantée sur un piédouche comme sur un perchoir.

Le Salon vient de se fermer ; nous ne parlerons que des bustes et des statues qui s’imposent à notre souvenir. On a beaucoup goûté le fin et spirituel portrait de Mme Doche par M. Delaplanche. On n’a pas moins admiré celui de M, le L. L… par M. Ântony-Paul Noël. Le corsage échancré en carré, la ruche qui le borde, toutes les parties de l’ajustement aussi bien que la coiffure ont été traitées avec une exquise élégance. La tête est noble ; elle exprime l’autorité, une tranquille et superbe domination tournée en habitude. Elle ne cherche pas les hommages, elle les attend, elle les reçoit comme un tribut qu’il faut lui payer ; en l’admirant, vous ne faites que votre devoir, et il n’y a point de mérite à faire son devoir. Moins classique, moins majestueuse, moins noblement souveraine, mais pleine de charme dans ses allures conquérantes, est l’effigie de Mme la baronne de K…, telle que l’a représentée Marcello. Il y a dans ce marbre beaucoup d’expression, beaucoup de jeu et un sentiment tout moderne. Le buste est bien coupé : on voit la naissance des hanches, et la ligne terminale serpente avec grâce ; ce qui frappe surtout, c’est l’art presque audacieux avec lequel le sculpteur a mis cette figure en action. La baronne de K… est en toilette de bal, les épaules et les bras nus. Elle froisse entre ses doigts le nœud de rubans qui orne son corsage ; sa tête est tournée à gauche, et son regard semble chercher quelque chose ou quelqu’un. On croit la voir entrant dans un salon, paraissant dans une fête. On retrouve dans son attitude le mouvement d’une Diane chasseresse ; son sourire, à peine esquissé est fort gracieux et ne laisse pas d’être inquiétant. Ce beau buste a fixé l’attention du jury et enlevé les suffrages du public.

Les portraits d’hommes étaient nombreux ; on a donné la palme à celui de M. Alexandre Dumas père, par M. Chapu. L’artiste à qui