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trouvé plus d’une heureuse inspiration dans cet olympe à la fois glorieux et charmant qui siège en permanence dans le foyer de l’Opéra ? Les sculpteurs seraient des ingrats, s’ils méconnaissaient tout ce qu’ils doivent aux peintres, qui leur enseignent à rajeunir leurs sujets et à renouveler leurs idées ; en retour, ils peuvent apprendre aux peintres que sans science et sans conscience on n’obtient que des succès éphémères et de mauvais aloi. La peinture est un fort bel art, elle est aussi quelquefois, la fortune aidant, un métier très fructueux. L’ébauchoir n’enrichit guère son monde ; ce terrible outil rebute bien vite l’artiste qui rêve des triomphes faciles et productifs ; pour lui demeurer fidèle, il faut l’aimer, il faut avoir la vocation, il faut être né sous une étoile plus forte que tous les dégoûts et que tous les mécomptes ; le talent ne suffit pas, il faut avoir du caractère, et tôt ou tard le caractère profite au talent. Le critique allemand que nous avons cité s’étonnait avec raison de toutes les œuvres remarquables, en marbre, en bronze ou en plâtre, exposées dans le jardin du Palais de l’Industrie. L’homme de ce siècle n’a rien de sculptural ni dans ses goûts ni dans son caractère ; les jolies femmes que nous admirons ne ressemblent guère à des Minerve ou à des Clytemnestre. D’autre part, il ne fut jamais plus vrai de dire que les statuaires « manquent de débouchés, qu’ils sont les artistes du souverain et que leur sort dépend du ministère. » Et cependant, après avoir enfanté un Rude et un Barye, la France continue d’avoir une école de sculpture dont la fécondité se renouvelle sans cesse. Cette école se distingue par la conscience dans le travail, par l’étude savante de la nature, par la noblesse du sentiment, par une aspiration opiniâtre vers le vrai et vers le grand, et ses efforts sont récompensés ; elle produit un nombre considérable de fortes œuvres, dont quelques-unes sont du premier ordre. La France se flattait jadis que tous les peuples étrangers lui enviaient « les merveilles de son administration ; » elle peut se flatter sans présomption qu’ils lui envient ses sculpteurs, dont elle a le droit d’être fière.

Le marbre et le bronze sont deux langues admirables, mais rebelles, dont le vocabulaire est un peu pauvre et dont la syntaxe manque de complaisance ; il est une infinité de choses qu’il faut renoncer à leur faire dire. Lorsque Candide eut le plaisir de souper chez le roi du pays d’Eldorado, on lui expliquait les bons mots de sa majesté, et, quoique traduits, ils lui paraissaient toujours des bons mots. « De tout ce qui étonnait Candide, ce n’était pas ce qui l’étonna le moins. » Un bon mot traduit en sculpture fera toujours l’effet d’une sottise. Il est également impossible, à un sculpteur de rendre le charme fugitif, presque insaisissable, de certaines figures