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proportion restreinte, on substituait des compagnies de volontaires, des soudoyers, soit français, soit étrangers. Les campagnes, qui par suite des progrès accomplis dans l’art de la guerre devenaient plus longues, nécessitaient un service plus prolongé. Les belligérans ne pouvaient plus s’accommoder de ce service féodal, qui n’était en principe que de quarante jours et qu’on ne parvenait que difficilement à faire durer davantage ; ils préféraient des hommes qui s’engageaient pour toute la durée de la guerre et qui étaient à leur solde.

Ce fut là un précieux débouché pour nombre de gentilshommes qui ne savaient point exercer d’autre industrie que celle des armes, Sans doute il y en avait quelques-uns qui entraient dans le clergé, généralement plus par l’espoir d’obtenir quelque gros bénéfice que par vocation. Au XIVe siècle, le nombre des riches bénéfices ecclésiastiques s’était notablement accru, et ils excitaient fort la convoitise des gentilshommes et des clercs. C’était même là une des raisons qui fit que la noblesse française vit de bon œil le saint-siège transféré à Avignon, car la cour pontificale était la source de toutes les grâces ecclésiastiques, et les solliciteurs y accouraient en foule. La grande majorité des nobles préférait de beaucoup la carrière des armes, qui était d’ailleurs pleine de profits et un prompt moyen d’arriver à la fortune. Les rois, les grands barons, récompensaient libéralement ceux qui les avaient bien servis ; ils leur faisaient de riches présens, leur accordaient des pensions viagères à titre de fiefs, c’est-à-dire sous la condition de l’hommage : c’est ce que l’on appelait des fiefs de soudée ; ils leur donnaient des charges de cour. De plus la guerre rapportait à ceux qui étaient heureux un abondant butin. Saint Louis, Philippe le Bel, avaient interdit les guerres privées qui désolaient les campagnes ; mais les armées royales comme celles des grands vassaux ne commettaient guère moins d’excès que les petites troupes à l’aide desquelles les seigneurs vidaient leurs querelles et battaient le plat pays. On mettait les villes à contribution, on vivait grassement au détriment des malheureux paysans ; ce qui était surtout lucratif, c’étaient les rançons qu’on exigeait des prisonniers de quelque importance. L’Histoire de Du Guesclin est toute remplie de mentions de ces rançons, qui ne consistaient pas seulement en une somme plus ou moins élevée, mais qui comprenaient encore des livraisons en nature. Si l’usage de ces rançons offrait l’avantage de rendre la guerre moins inhumaine, car on avait intérêt à épargner son ennemi, qu’on s’efforçait de prendre plutôt que de tuer, il ne ruinait que davantage le pays ; le seigneur accablait ses tenanciers de redevances pour racheter lui ou les siens. Le seul rachat du roi Jean acheva de mettre nos finances aux abois. Avoir été fait prisonnier, c’était là une