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Cependant il faut bien reconnaître qu’en matière électorale ce sont les passions qui mènent les hommes, parfois aussi les intérêts, mais bien rarement la raison. Il en est ainsi principalement dans les grandes villes, où les candidats sont peu connus et où l’on vote une liste. Cette liste, la foule des électeurs ne la connaît pas, elle s’est faite au-dessus de leur tête. Quels sont les noms qui la composent ? Sont-ce des noms honorables répondant à des capacités éprouvées ? La majorité des électeurs ne le sait pas, et il faut ajouter qu’elle ne s’en inquiète guère. Ce n’est pas pour des individus qu’on vote, c’est pour un parti, une couleur, nous posons pas dire un drapeau. Il y a donc plusieurs listes en présence, il y en a une qui passe. Cette liste-là représente presque toujours (nous continuons à parler des grands centres) la victoire d’un parti sur un autre, et cependant c’est d’elle que sortira le maire. Celui qui aura mené la lutte électorale, l’âme et la tête du parti triomphant, ce nom-là sera inévitablement désigné par ses collègues. On aura en lui un maire de combat, très chaud pour servir les intérêts de son parti, moins ardent en général pour servir la chose publique, et manquant dans tous les cas de cette sérénité, de cette impartialité si nécessaires à un administrateur et à un magistrat, et nous avons vu que le maire était l’un et l’autre.

Si au lieu d’un grand centre, l’on envisage ce qui se passera dans les petites communes, les objections contre le système proposé sont d’une autre sorte, mais elles ne sont pas moins graves. A tout prendre, dans les villes, il y a toujours un représentant de l’état qui en impose par sa présence, qui du moins connaît immédiatement l’abus et le réprime. Au contraire, la petite commune est absolument livrée à elle-même. Bien qu’on ait en 1871 notablement accru le chiffre des brigades de gendarmerie, il n’en existe que dans les bourgs importans, et nombre de communes sont encore bien isolées. Là le maire est seul ; il est le témoin d’abus de toute espèce, il doit avoir assez d’autorité pour les prévenir, de courage pour les punir et en tout cas pour les signaler. Or cette autorité, il faut bien le reconnaître, il n’en jouira auprès de ses administrés qu’autant qu’il sera nommé par le gouvernement lui-même. Cela est si vrai que dans les petites communes, qui forment la majorité en France[1], le maire ne tient pas le moins du monde à cette indépendance qu’on réclame en son nom, parce qu’avec elle il perd la meilleure part de son prestige. Et cette influence est nécessaire. Bien employée, elle peut rendre les plus grands services, et nous n’hésitons pas à dire que les abus qu’elle comporte sont effacés par les

  1. Il y a en France 12,800 communes qui ne comptent pas plus de 400 âmes.