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dernier accès d’orgueil furieux et n’ait refusé de survivre à sa déchéance. Il comptait, à ce qu’il paraît, sur le secours des navires cuirassés, dont l’achat a été une des folies ruineuses de son règne : les « cuirassés » eux-mêmes l’ont abandonné, et la vue des vaisseaux étrangers pavoises dans le Bosphore aurait, dit-on, achevé de lui prouver que tout était fini pour lui. Toujours est-il que sa mort mystérieuse simplifie la situation de son successeur, qui de toute façon reste ainsi le souverain incontesté de l’empire ottoman. C’est un embarras de moins pour un règne qui s’ouvre dans des conditions certes assez critiques, ayant tout à la fois à faire face aux insurrections, aux complications extérieures que lui lègue le dernier gouvernement et aux difficultés intérieures qui naissent de sa propre origine, d’un changement violent.

Ce qui vient de s’accomplir est en définitive une révolution que les excès de pouvoir du dernier règne ont rendue facile, mais qui n’a pu réussir que par les promesses, avec le concours de certains élémens agitateurs, et le nouveau régime se trouve aujourd’hui en présence de la situation troublée d’où il est sorti. Ces softas dont on s’est servi semblent prendre goût à leur rôle. Ils ont commencé par des manifestations contre un des derniers grands-vizirs, dont ils ont provoqué la chute. Ils ont contribué au détrônement d’Abdul-Azis et à l’exaltation de Mourad. Ils restent armés, ils représentent une sorte de force irrégulière, contre laquelle il serait dangereux d’employer des soldats et dont il faut bien qu’on soit un peu embarrassé, puisqu’on fait intervenir l’autorité religieuse du cheik-ul-islam. Évidemment il y a une certaine fermentation qui est peut-être dès ce moment assez périlleuse et qui peut se développer, si le nouveau gouvernement ne se hâte pas de montrer qu’il est de force à suffire aux pressantes nécessités de l’empire. Ce n’est pas tout : parmi les hommes mêmes qui ont contribué à la dernière révolution il y a des rivalités, des antagonismes non-seulement d’ambition, mais d’idées, de tendances, de politique. Midhat-Pacha, qui est un des premiers personnages du moment et qui a été aussitôt élevé à la présidence du conseil d’état, est un homme éclairé qui passe pour un habile administrateur et pour un partisan de réformes sérieuses. Le ministre de la guerre, Hussein-Avni-Pacha, qui a été réellement le principal exécuteur du coup d’état, est un vrai Turc qui n’a pas du aider à la révolution par un goût bien ardent de réformes. Homme d’énergie et d’action, il exerce aujourd’hui une influence presque décisive. Ce que pense ou ce que veut le sultan lui-même, il serait difficile de le dire, et ce serait sans doute une étrange illusion de voir en lui un prince réformateur à l’européenne, quoiqu’il mette des gants blancs, dit-on, et qu’il salue gracieusement la population. Que les premiers momens du règne de Mourad soient difficiles et embarrassés, qu’ils se ressentent de toute sorte de conflits intimes, c’est déjà visible. Cependant les circonstances