son beau pays, dont les nuits sont si douces que les paysans, avec toute la famille, se couchent pour dormir en plein air, sous un auvent qui fait le tour de la cabane ; il ressentait, en y pensant, l’impression de paix sereine qu’il a merveilleusement traduite dans son petit poème de trois strophes, intitulé :
LE SOIR.
Un jardin de cerisiers entoure la maison ;
Les hannetons bourdonnent au-dessus des arbres ;
Les laboureurs avec leurs charrues,
Les jeunes filles avec leurs chansons, rentrent,
Et les mères les attendent pour le souper.
La famille prend son repas autour de la maison ;
À l’horizon brille l’aurore du soir.
La fille présente les mets du souper ;
Sa mère voudrait lui donner des conseils ;
Mais le rossignol l’en empêche.
La mère, autour de la maison,
À couché les petits enfans ;
Elle-même dort près d’eux.
Tout bruit s’éteint… Seuls, la jeune fille
Et le rossignol veillent encore.
Dans une lettre écrite à l’éditeur des œuvres de Chevtchenko et publiée en tête du premier volume, M. Ivan Tourguénef raconte l’impression que notre poète avait faite sur lui. « Son extérieur n’annonçait guère un poète : il faisait plutôt l’effet d’un homme assez lourd, que le malheur aurait endurci, et qui cacherait au fond de son cœur une provision d’amertume. Par intervalles cependant, il avait des éclairs de tendresse et de gaîté. Un jour, dans une réunion dont je faisais partie, il lut sa belle poésie : le Soir. Il la lut simplement, naïvement ; il était ému, et son émotion fut partagée par tous les auditeurs. Nous trouvâmes en lui, ce jour-là, manifesté extérieurement, son génie poétique, avec toute la mélancolie, la tendresse et la douceur qui sont le fond du caractère petit-russien. » Une œuvre qui transfigure ainsi son auteur ne peut être une chose banale ; mais comment traduire en vile prose ces impressions fugitives ? Gérard de Nerval, un maître en style pourtant, disait dédaigneusement à propos de ses traductions des poésies d’Henri Heine : « C’est du clair de lune empaillé. »
Pour donner une idée exacte de la manière de Chevtchenko, nous avons pensé qu’il valait la peine de rapporter à peu près intégralement un de ses poèmes, et nous avons choisi à cet effet Marianne, dont le début met en scène avec une parfaite exactitude les dé-