tion fut-elle plus forte que la voix de sa conscience ? Lui-même avoue n’en rien savoir. Le fait est qu’avec l’éducation morale qu’on lui avait donnée jusque-là, il mérite des éloges pour n’avoir jamais péché plus gravement.
Son premier soin fut de trouver dans un autre village un maître plus instruit. Il tomba chez un diacre qui faisait de la peinture. Pendant trois jours, il passa ses journées à aller puiser de l’eau dans la rivière voisine, et à broyer des couleurs sur une plaque de fer ; mais le diacre ne faisait pas mine de vouloir lui mettre un crayon entre les mains. Le quatrième jour, il se lassa de ce rôle passif et s’en alla trouver un autre maître, simple sacristain, cette fois, mais célèbre à plusieurs verstes à la ronde par ses tableaux religieux. Quelle joie, s’il parvenait à acquérir la plus petite parcelle du talent de ce grand artiste ! Il prenait les meilleures résolutions, il se jurait de supporter courageusement les épreuves les plus dures ; hélas ! quand il se présenta chez le grand artiste, celui-ci lui regarda attentivement le creux de la main gauche, et refusa de l’accepter comme élève. — Tu ne seras jamais peintre, lui dit-il ; tu n’es pas même capable de devenir tailleur ou tonnelier.
Le pauvre enfant, désespéré, retourna dans son village natal. Faute de mieux, il résolut de devenir, selon l’expression homérique, pasteur de troupeaux irréprochable. Du moins, pendant qu’il surveillerait ses bêtes, il pourrait lire son cher petit livre à images ! Mais cette nouvelle phase de sa destinée ne devait pas être longue. Il fut bientôt appelé au noble emploi de marmiton chez l’intendant, puis promu chez son seigneur au rang de kazatchok.
Les kazatchoks, — littéralement petits-cosaques, — sont une invention polonaise, promptement adoptée par les seigneurs russes. Ces enfans endossaient comme laquais le costume qu’avaient porté jadis leurs pères, libres et glorieux, et, pour l’amusement de leurs seigneurs, jouaient le rôle de bouffons, dansaient, chantaient des chansons d’une moralité équivoque. On appelait cela « protéger la nationalité ukrainienne. » Le maître de Chevtchenko, seigneur russe d’origine allemande, fut moins exigeant. Il se contenta d’installer Tarass dans un coin de l’antichambre, avec mission de lui allumer sa pipe ou de lui verser un verre d’eau, quand il l’appellerait.
Les loisirs ne lui manquaient pas dans ses nouvelles fonctions. Il passait son temps à dessiner en cachette, à écouter avidement les kobzars qui chantaient les exploits des Cosaques, et les récits des vieillards qui se rappelaient encore les luttes contre les Polonais. C’est là qu’il amassa, sans y songer, les matériaux de ses premiers poèmes, où il devait peindre de couleurs si brillantes le passé de sa chère Ukraine ; toutefois nous verrons que l’instinct poétique ne se