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rester sur cette parole d’espérance. Malheureusement l’impression est plus compliquée. D’une part, l’enquête oppose une réponse décisive à des craintes exprimées souvent sur un ton prophétique relativement à l’abaissement du travail et de la condition intellectuelle et morale des hommes. Elle ne répond pas moins à cette prédiction menaçante qui annonçait que les moyens établissemens allaient tomber successivement, absorbés par les colosses industriels, tellement que le travail ne serait plus rien qu’un accessoire, l’individu une simple unité numérique, l’industrie tout entière une féodalité oppressive, organisée au profit d’un petit nombre. Ces prédictions, dont un esprit aussi judicieux que Tocqueville s’est lui-même rendu l’écho, ne se sont pas réalisées ; le capital ne s’est pas plus absorbé dans les mains d’une minorité que la petite propriété foncière n’a réduit le sol en poudre, selon une autre prophétie ; la concurrence y a mis ordre pour la plupart des établissemens qui n’appellent pas la concentration en vertu de circonstances particulières, et elle continue à faire bonne garde.

Quant au problème moral, il n’a pas cessé d’être alarmant. L’enquête nous a bien montré qu’il n’est guère possible de soutenir que la manufacture l’aggrave, elle nous a montré que le travail industriel n’est pas incompatible avec les moyens de le résoudre ; mais si la situation s’est améliorée sur certains points, elle ne l’est pas partout, et elle présente des symptômes nouveaux d’une incontestable gravité. Ce qui est grave en effet, c’est l’espèce de parti-pris qu’on remarque fréquemment dans cette corruption autrefois naïve, c’est le ton de défi avec lequel, au moins dans un certain nombre de grandes villes, elle semble se dire légitime, comme si elle ne faisait que revendiquer la part de jouissance à laquelle tout homme en ce monde est censé avoir droit. C’est, dans ce cas, l’esprit qui contribue à dépraver le cœur par ses sophismes. La malveillance à l’égard de la classe qui possède est l’autre trait plus répandu encore de la même situation. Voici quatre volumes sur l’état des populations industrieuses : or, quel est le titre du dernier chapitre ? L’Internationale ! C’est-à-dire que nous restons sur une menace ; menace déjà suivie d’effet, et qui, abdiquât-elle pour un temps la violence, n’en garde pas moins ses visées. Lisez les enquêtes de nos ouvriers délégués aux expositions, écrites sur le ton le plus pacifique, avec une honnêteté et une conviction qui, la plupart du temps, frappent tout esprit impartial. Ce que la majorité demande n’en a pas moins une gravité extrême. Le capital y garde en partie les traits d’un spoliateur. Les formules trop révolutionnaires paraissent souvent atténuées : le fond reste ; on veut des combinaisons qui, en fin de compte, enlèveraient au capital une