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vérité à reconnaître que, depuis le jour où l’auteur a commencé à étudier attentivement notre régime industriel, ce mal qu’on avait pu croire pendant quelques années apaisé n’avait cessé de couver et a reparu avec plus de gravité et d’étendue dans la population ouvrière.


V

Le fer et la houille, étudiés dans un volume qui clôt l’enquête de M. Louis Reybaud sur la grande manufacture, donneraient lieu à des observations non moins importantes. Le rôle joué par l’élément intellectuel et plus particulièrement par l’élément moral, non moins évident dans ces grandes industries, y revêt un aspect éminemment original. Nulle part n’éclate avec plus de puissance l’intelligente initiative du capital dans la création des foyers de production, dans l’organisation de l’atelier. Il a fallu des hommes supérieurs pour fonder dans ce genre d’exploitation les établissemens qui honorent le génie industriel de la France au XIXe siècle. Il suffit de rappeler le Creusot, Fourchambault, Commentry, Anzin, d’autres établissemens de la Champagne, de la Lorraine, de la Franche-Comté. Que de fois des villages ont été créés sur des emplacemens où régnait le désert, et sont devenus des villes ! Le Creusot et Anzin sont des œuvres prodigieuses dont le détail ne frappe pas moins que l’ensemble dans l’ouvrage de M. Louis Reybaud. L’installation du matériel y impose par sa puissance et son étonnante grandeur, de même que l’organisation du personnel nombreux qui s’y développe hiérarchiquement en tenant compte de la variété des aptitudes et de l’inégalité des services. Ces travaux, accomplis dans des galeries souterraines ou dans des forges et des fonderies, ces appareils gigantesques, sont placés sous nos yeux par l’auteur de l’enquête, qui n’avait jamais mis son talent d’écrivain en un rapport plus complet avec ce qu’il s’est proposé de raconter et de peindre. Cette espèce de poésie propre à l’industrie il en fait passer dans ses pages sévères et animées le sentiment vrai et l’exacte couleur. La manufacture décrite de cette sorte devient un être vivant qu’on voit naître, comme un faible germe d’abord, puis se compléter peu à peu, jusqu’à ce qu’il atteigne les proportions d’un colosse aux milliers de bras mû par une seule pensée. La population si fortement caractérisée des mineurs et des forgerons n’a pas sous la plume de l’écrivain moins de saisissant relief. Ce sont mieux que des tableaux de genre, c’est la réalité elle-même fortement saisie et fixée.

L’impression que nous laisse sous le rapport moral le travail dans les industries du fer et de la houille est généralement satisfaisante.