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question qui se posait devant lui et qu’il l’a résolue. La peinture qu’il présente, dans chaque grande industrie manufacturière, des populations laborieuses, se rattache elle-même à cette solution d’ensemble.

En somme, l’auteur des Études sur le régime manufacturier accepte, justifie la manufacture comme un fait irrésistible et comme un progrès. Sans lui attribuer le mérite exclusif d’avoir réfuté des griefs parfois chimériques et des craintes habituellement exagérées, il faut avoir lu l’enquête pour savoir ce qu’elle ajoute à la force de la démonstration. À ne prendre les faits que du point où M. Villermé les avait laissés, l’auteur nous fait voir à quel degré les cadres du travail se sont remplis, dans quelle mesure les salaires, loin de décroître, ont augmenté. On semblait faire de la façon brutale avec laquelle procédaient les changemens qui, d’une année à l’autre, bouleversaient les existences, un argument permanent, comme si on devait inventer tous les jours telles choses que la vapeur, la machine à filer, les chemins de fer. En fait, du tableau même de M. Louis Reybaud il résulte que l’état révolutionnaire, dans ce qu’il avait d’aigu sous l’influence des déplacemens causés par la mécanique, n’existe plus dans l’industrie : les intérêts ont fini par se classer, et de nombreux exemples attestent que les ouvriers opposent aujourd’hui à des crises plus rares et moins intenses des moyens de résistance mieux organisés. Même réponse, qui se décompose en cent preuves de détail, sur la prétendue oppression abrutissante des machines. Lisez les exactes et ingénieuses descriptions des mécanismes nouveaux dans l’enquête de M. Louis Reybaud. Loin d’opprimer, ils ont affranchi le travail en achevant de prendre à leur compte la partie la plus écrasante ou la plus répugnante des tâches, et l’hygiène en a profité comme le meilleur aménagement des forces. Ils ont si peu étouffé l’intelligence qu’ils ont continué à la substituer dans une mesure croissante à l’emploi exclusif des efforts musculaires. Voilà une réfutation pratique et circonstanciée d’objections trop persistantes. On peut la regarder comme décisive. Un seul point à nos yeux laisserait peut-être quelque doute : la monotonie automatique des mouvemens auxquels les machines condamnent les travailleurs n’est-elle pas un argument qui mérite qu’on en fasse plus de cas ? L’ancien métier, avec toutes ses infériorités, n’était-il pas un meilleur compagnon, plus familier, moins impérieux, laissant au corps plus de liberté, à l’esprit aussi, conciliable avec la rêverie, avec la pensée, soumettant moins en un mot l’être humain tout entier aux lois des pures mathématiques ? Je ne suis pas si éloigné de croire qu’un travail si monotone pourrait exercer sur l’intelligence une action délétère, s’il se prolongeait à l’excès, et s’il ne trouvait pas des correctifs dans les heures de loisir de l’ouvrier,