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Si réellement regrettable qu’ait été la perte prématurée de cet économiste, doué de tant d’initiative et de verve, mais un peu moins maître de son imagination, on doit se dire que la succession ne pouvait mieux échoir qu’à M. Louis Reybaud. On rencontrait en lui toutes les garanties que peuvent donner des connaissances spéciales, un discernement sûr, la haine de l’exagération, un jugement fin et indépendant. Ce n’était pas trop dans un sujet où l’on se trouvait en face, chez les chefs d’entreprise, d’intérêts qui pouvaient, à les supposer de bonne foi, n’avoir pas toujours l’impartialité désirable, et chez les travailleurs, de passions qui s’en faisaient volontiers accroire à elles-mêmes. Le talent de l’écrivain lui-même rassurait au lieu d’inquiéter : dirigé et contenu par une haute probité scientifique dans la manière d’observer et de présenter les faits, il saurait leur donner un juste relief sans tomber dans ces tableaux à sensations, si chers aux tribuns qui cherchent des thèmes populaires et aux coloristes à outrance. Toutes ces promesses ont été tenues. L’enquête forme, dans les limites des industries auxquelles elle s’est appliquée, un monument qui s’offre à nous presque achevé.


II

Il s’agissait avant tout de se faire une idée exacte du nouveau régime industriel qui, surtout depuis 1815, se développait au milieu d’un perpétuel va-et-vient, de chocs d’intérêts, de déplacemens et d’épreuves souvent redoutables, particulièrement sensibles dans une partie des populations livrées au travail manuel. Les défenseurs du passé accusaient la liberté, la concurrence, la révolution ; les socialistes accusaient le capital, la bourgeoisie, l’individualisme, comme ils disaient, la révolution de 1789 aussi, à laquelle ils reprochaient de n’avoir pas été assez radicale, assez organisatrice dans le sens de leurs idées. Les économistes pour la plupart louaient ces changemens, en montraient la fécondité dans l’accroissement de la production. Ils soutenaient que la concurrence était la vraie cause de tant d’heureux efforts, de tant de progrès rendus par le bon marché accessibles à la masse. Ils n’admettaient pas qu’elle fût l’anarchie. Si elle excitait l’émulation, elle refrénait les intérêts ; elle en limitait les prétentions les unes par les autres, elle attirait où besoin était les capitaux et les bras. N’y avait-il pas enfin dans ces perturbations, dans ces crises fréquentes et dans ces misères du travail déplacé une autre cause que la liberté ? L’Angleterre passait par les mêmes épreuves. Avait-elle donc supprimé ses corporations officielles et fait une révolution ? Cette autre cause, c’était la mécanique, c’était la science qui, là aussi, faisait, à