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avait été de bonne heure initié à la vie positive. Lui-même, destiné au commerce, avait fait dans sa jeunesse en Amérique et dans le Levant plusieurs voyages, occasion déjà d’observations pour un futur économiste. Les voyages sous forme de récits, statistique, tableaux de mœurs, devaient devenir une de ses spécialités littéraires. Il en a beaucoup écrit pour son propre compte, et sous le nom de marins illustres, la marine étant aussi de sa compétence dans ses procédés de construction et dans son organisation. Cependant le commerce et les voyages ne furent qu’une première étape dans la vie du jeune homme, qu’attiraient d’autres études et le désir de s’occuper d’intérêts plus généraux. Arrivé à Paris avant 1830, entraîné comme d’autres par le mouvement politique et littéraire qui marque la fin de la restauration, il prit une part active à l’opposition libérale de ce temps dans les journaux. Il continuait quelques années encore sous le gouvernement de juillet cette collaboration opposante, et il passe même pour avoir eu quelque part à certains pamphlets rimes qui firent alors assez de bruit. Cette place dans l’opposition, purement parlementaire d’ailleurs, M. Reybaud la marquait dans la chambre des députés de 1846 en siégeant à gauche. Nul ne devait être plus que lui douloureusement surpris par cette révolution toute démocratique de février, étonnement des gouvernans et encore plus, des opposans eux-mêmes, qui avaient cru qu’on pouvait combattre avec l’énergie des moyens employés par l’opposition en Angleterre la résistance trop obstinée du pouvoir aux réformes les plus modérées. M. Louis Reybaud avait une raison de plus de s’alarmer d’une telle révolution dans l’étude approfondie qu’il avait faite de ces utopies sociales dont elle déployait le drapeau, bientôt ensanglanté. Au reste la politique active avait toujours été au second rang pour l’écrivain que la littérature et l’économie sociale se partageaient depuis longtemps. M. Louis Reybaud, jusque dans ces dernières années, a toujours fait une place assez considérable aux travaux d’imagination. Ce partage entre deux vocations, en apparence si différentes, devait produire parfois une certaine confusion pour une partie du public. On a presque pu croire à deux écrivains distincts. Il y a eu à un moment un Louis Reybaud populaire qui, aux yeux de bien des gens, ne devait pas être le même que l’auteur de graves écrits qui tenait sa place à l’Institut. Le premier, inventeur de personnages d’une réputation en quelque sorte proverbiale, ne dédaignait pas les succès d’une franche et originale gaîté ; le second intéressait seulement le public plus restreint qui aime les idées sérieuses. Entre les deux, les différences n’étaient pas aussi grandes pourtant qu’on pourrait le croire. A y regarder de près, on remarque la même trempe d’esprit, les mêmes tendances chez le peintre de mœurs, observateur des travers sociaux,