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ouverte, et cependant César n’avait point été assassiné ; mais il n’est pas d’endroit où le repos dominical soit plus scrupuleusement observé. Les habitans étaient revenus des offices du matin et dînaient en hâte pour pouvoir retourner aux offices de l’après-midi ; l’ange du silence planait sur les rues désertes. N’étaient les cadavres et les trois esclaves, en regardant le tableau de M. Rixens, nous pourrions nous croire à Neuchatel, un dimanche, à midi. Ah ! monsieur Rixens, pensez-y donc, nous montrer une place où il n’y a personne, ce n’est pas nous montrer une place qui tantôt était couverte de gens affairés et où se répand tout à coup une terrible nouvelle qui met tout le monde en fuite.

M. Maignan nous a fait éprouver une déception du même genre. Son tableau représente Frédéric Barberousse aux pieds du pape Alexandre III. « Le pape, nous est-il dit, attendait Frédéric à Venise sous la porte de Saint-Marc. L’empereur d’Allemagne se prosterna, et le pape lui dit : Dieu a voulu qu’un vieillard et qu’un prêtre triomphât d’un empereur puissant et terrible. » Ce n’était pas chose aisée que de rendre cette impériale majesté condamnée à un si cruel abaissement, que de nous montrer le hautain vaincu de Legnano se prosternant devant le pontife auquel il avait opposé deux antipapes. Nous nous demandions comment s’y serait pris M. Maignan pour peindre ce visage, pour y faire percer, au travers d’une humilité de commande, les amertumes d’un orgueil exaspéré par sa défaite, qui en appelle secrètement à l’avenir et se promet une revanche. Sur la foi du livret, ce tableau nous intéressait, et à certains égards nous avons eu notre compte ; l’architecture en est belle, les costumes y sont brillans ; mais nous aurions tout donné, Saint-Marc et le reste, pour un visage de Frédéric Barberousse bien réussi. Hélas ! le Frédéric de M. Maignan ne nous montre que son dos. A la vérité, ce dos est embelli d’un fort beau manteau de brocart ; c’est égal, nous sommes volés.

Oserons-nous dire que M. Henner a usé, lui, aussi, d’un peu d’escamotage dans son Christ mort ? Le corps du Christ est superbe, c’est un des plus beaux morceaux qu’il y ait au Salon. Le malheur est que les personnages qui l’entourent nous apparaissent à l’état fragmentaire ; la toile étant trop étroite pour les contenir, nous n’apercevons que le bout de leurs nez ou de leurs oreilles. Impossible de découvrir leurs yeux ; ils les ferment ou ils les cachent. Marie-Madeleine, accroupie, serre dans ses bras les jambes du Christ ; elle a de magnifiques cheveux d’un blond rouge, mais son visage est presque invisible. Si M. Rixens nous doit un forum, si M. Maignan nous doit un Frédéric Barberousse, M. Henner nous doit une Marie-Madeleine, et M. Jules Lefebvre aussi, car sa pécheresse repentante a un corps ravissant, auquel on ne trouve à redire qu’une