Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/877

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parmi les toiles les plus remarquées du Salon, il en est une encore qui pèche surtout par le défaut d’une composition trop délayée, et qui paraît trop grande parce que l’ordonnance en est défectueuse. Ce n’est pas que le sujet en soit insignifiant et ne méritât pas les honneurs du grand format ; au contraire, il est d’un intérêt poignant, pénible, presque douloureux, il demandait à être sauvé. M. Tony Robert-Fleury nous montre dans une cour de la Salpêtrière Pinel abolissant, par une sorte de coup d’état, le régime barbare auquel les aliénées étaient soumises de son temps et les odieux traitemens qu’on leur infligeait. Près de lui est une jeune fille aux yeux égarés, à qui on ôte ses fers ; elle ne comprend rien à ce qui se passe. Une de ses compagnes, déjà délivrée, s’agenouille aux pieds du docteur et lui baise dévotement la main, qu’elle n’ose prendre dans la sienne ; elle croit avoir affaire à quelque bon génie descendu du ciel. Rien de plus touchant ni de mieux conçu que ce groupe ; mais il fallait s’en tenir là et reléguer le reste dans les fuyans du tableau. Un fou tranquille est déjà une compagnie gênante ; vingt folles furieuses sont un spectacle répugnant. M. Robert-Fleury s’est plu à étaler ses folles, la cour en est pleine, nous les voyons partout liées à des poteaux, l’œil hagard, la bouche tordue ou écumante. Passe encore s’il avait songé à égayer cette scène par quelque jeu de lumière, à récréer nos yeux par les artifices et les séductions de la couleur. Il a écrit sa tragédie dans un style de peinture froid, uni, un peu terne, par trop sage, qui manque de montant ; c’est la langue de Scribe aux incorrections près. Il faut rendre à M. Delaunay cette justice qu’il s’est servi d’une palette plus riche et mieux nourrie pour représenter Ixion tournant sur une roue surchauffée, à laquelle il est attaché par d’affreuses vipères qui lui ont mis le corps en sang. Nous montrer un homme à la fois mordu, roué et rôti, c’en est trop ; nous admirons la palette et la main de l’artiste, mais nous lui disons ! serrez, serrez.


V

Diderot remarquait que le talent d’un peintre de son temps, Lagrenée, diminuait en raison de l’étendue de sa toile. « On a tout mis en œuvre pour l’échauffer, écrivait-il, pour lui agrandir la tête ; peines perdues. » Et il ajoutait : « Je disais à Mme Geoffrin qu’un jour Roland prit un capucin par la barbe, et qu’après l’avoir bien fait tourner, il le jeta à deux milles de là, où il ne tomba qu’un capucin. » Nous voyons au Salon plus d’un Roland sage ou furieux faisant tourner son capucin. Toutefois plusieurs des jeunes artistes qui ont eu la louable ambition de s’attaquer à de grands