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question qu’il serait oiseux de discuter aujourd’hui ; seulement cette même logique fatale veut que la situation qu’elle a créée parcoure toutes ses phases : après le triomphe de la force, la prépotence de l’élément militaire, après la lacération du pacte fédéral, la prédominance du pouvoir central, après la négation du droit des états à conserver des institutions garanties par le pacte constitutionnel, la négation de leur autonomie politique, et elle les parcourra toutes jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien qu’un nom sans réalité de l’œuvre de Washington et de Franklin. « Bien des signes néfastes apparaissent, et il y a quelque chose qui s’écrit sur le mur, » dit M. Dixon, faisant allusion à la biblique histoire du festin de Balthazar. Oui, quelque chose s’écrit, et ce que nous venons de dire n’est probablement que la traduction d’un des mots menaçans dont les caractères commencent à s’apercevoir : Mané.

Toutefois il y a des nécessités impérieuses, et il est vrai de dire que telles situations trouvent une sorte de légitimité dans leur fatalité même. Aussi le spectateur lointain et désintéressé n’aurait-il pas à s’émouvoir de cette politique nouvelle, si elle n’était que dure et violente, et se contenterait-il de trouver avec Pangloss que tout est pour le mieux dans la meilleure des républiques, puisque ces choses sont inévitables et doivent nécessairement suivre leur cours. Nous Français en particulier, qui savons quelles phases a traversées notre nation pendant sa longue histoire, comment notre unité s’est fondée dans le sang des populations du midi, comment elle s’est maintenue par la large effusion du sang des protestans, comment la révolution a triomphé dans le sang de l’ancienne société, nous n’en sommes pas à nous scandaliser pour si peu qu’une petite assemblée violée ou que l’échange de quelques coups de feu entre partis ennemis ; mais nous craignons que cette politique ne soit pas seulement violente, nous craignons qu’elle ne soit coupable. « Les désastres dans le passé, les menaces dans l’avenir, écrit M. Dixon à la fin de son livre, nous avertissent de nous tenir unis à notre commune race, à notre sang, à nos lois, à notre langage, à notre science. Nous sommes forts, mais nous ne sommes pas immortels. Une maison divisée contre elle-même tombera. Si nous désirons voir périr nos libres institutions, nous avons raison de prendre le parti des hommes rouges, des hommes noirs et des hommes jaunes contre nos frères blancs. Si nous désirons voir conserver l’ordre et la liberté, la science et la civilisation, nous donnerons nos premières pensées à ce qui active l’accroissement de l’homme blanc et à ce qui augmente la force de l’homme blanc. » C’est fort bien parler, et on ne peut mieux poser la question sur son vrai terrain. Parlons plus nettement encore et disons que le mal de cette