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manœuvres de la ligue blanche, il s’enferme avec ses partisans noirs dans le palais de l’assemblée législative. Il y a là des scènes de législateurs noirs délibérant en fumant, chiquant, crachant, et buvant cocktails et mint-juleps, qui atteignent les plus hauts sommets du grotesque. Grant, ennuyé de tout ce tapage, dont le bruit lui arrive à Washington, mais désireux de se ménager l’appui des majorités noires du sud pour une troisième présidence, envoie sous main le général Sheridan à la Nouvelle-Orléans, avec mission de rétablir l’ordre, fût-ce au détriment de la légalité. Sheridan, qui ne recula jamais devant aucun moyen extrême, télégraphie à Washington qu’il se charge de tout, pourvu qu’il ait carte blanche et qu’on obtienne du congrès un bon petit décret qui mette hors la loi les bandits de la Louisiane, c’est-à-dire les adhérens à la ligue blanche. Fort embarrassé d’obtenir et d’accorder cette permission d’ostracisme contre les citoyens les plus riches et les plus considérables de la Louisiane, le gouvernement de Washington répond à Sheridan qu’il s’en remet à sa prudence ; mais une parole ambiguë ne mit jamais fin à une réalité brutale comme l’anarchie. En dépit des manigances de Kellogg et de ses adhérens, l’assemblée législative de la Louisiane s’obstine à se réunir, se déclare en nombre légal pour délibérer, et nomme son président et son bureau. Alors Kellogg a recours à son suprême moyen de salut, l’intervention des troupes fédérales, et le général Emory, peut-être sous l’impulsion secrète de Sheridan, fait marcher son second, notre compatriote le général de Trobriand, pour expulser de l’assemblée législative comme illégalement admis les membres conservateurs qui complètent la majorité nécessaire. L’assemblée est envahie, et treize membres en sont expulsés au milieu du tumulte qu’on peut concevoir. Spirituel et infortuné général de Trobriand ! Tous ceux qui ont eu le plaisir de le connaître et de l’entendre exprimer ses opinions si nettement démocratiques ne pourront retenir un sourire en songeant au rôle que lui a ménagé en cette occasion la malice du sort. N’est-ce pas en effet comme si la destinée avait voulu lui dire : Ah ! tu as cru, parce que tu es citoyen des États-Unis, que tu avais abdiqué ta qualité d’enfant de la vieille Europe et de rejeton de sa civilisation séculaire ; mais je vais te prouver que cette qualité s’attache à toi d’une manière indissoluble. Il y a ici une assemblée à violer, eh bien, c’est toi que j’en veux charger, toi qui es né dans le pays des coups d’autorité et des coups de force. Allons, quatre hommes et un caporal, et balaie-moi ça !

A peine le coup de violence de la Louisiane fut-il connu qu’un épouvantable orage se déchaîna sur toute l’étendue de l’Union. Les gouverneurs des états tonnèrent dans leurs messages, les hommes