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partout ailleurs, le conflit inévitable qui devait résulter d’une mesure si soudaine et si complète a pris un caractère plus purement politique. Il n’en est pas pour cela moins offensif. Le tableau que M. Dixon trace de la situation des états du sud est vraiment fait pour effrayer. Là le danger n’est pas dans les actes de violence qui pourtant ne manquent pas, il résulte de la disproportion presque générale qui existe entre les chiffres des deux populations. La Géorgie est un des états les moins mal partagés : elle possède une majorité blanche ; cependant, dit M. Dixon, « cette majorité est légère, et sa population noire est massée de telle sorte qu’elle peut commander le vote dans beaucoup de comtés. » Dans trois de ces comtés, il y a deux nègres pour un blanc, dans cinq autres plus de deux nègres pour un blanc, dans trois autres plus de trois nègres pour un blanc, dans un dernier, quatre nègres pour un blanc. Dans l’état du Mississipi, les noirs ont une minorité faible, mais décidée, sept contre six blancs. Dans la Louisiane, les deux populations se balancent à peu près, ce qui est peut-être la situation la plus désavantageuse, car c’est la lutte en permanence, et avec la lutte la fraude politique et tous les moyens de corruption et de violence qu’elle met en usage. Mieux vaut après tout l’écrasement complet de la Caroline du sud, où la population blanche subit absolument la domination de la population noire, dix noirs contre sept blancs. Là au moins la ligne de conduite est toute tracée, toute ardeur de combat tombe devant l’éloquence de ce chiffre, qui ne permet aucune illusion ; les ligues blanches qui se forment dans tous les autres états par opposition aux ligues noires, et qui souvent l’emportent malgré l’appui des agitateurs venus du nord, seraient ici parfaitement inutiles ; il n’y a qu’à subir le joug et à se résigner. Lorsque M. Dixon visita la Caroline du sud, cet état était une véritable république noire. Sur trente-trois sénateurs, quatorze étaient noirs ; sur cent vingt-quatre représentans, soixante et treize étaient noirs. Noirs les présidens des deux chambres, noir le secrétaire d’état, noirs le trésorier de l’état, l’adjudant et inspecteur-général, le juge adjoint au grand juge de l’état. Les noirs ont la majorité, ils ont l’autorité, ils ont la force. Il y a tel comté où une milice noire, commandée par un général noir, assisté d’un état-major noir, se tient toujours prête à exécuter les ordres d’un shérif noir, exécuteur lui-même des décisisions d’un juge noir, tout cela sous la surveillance partiale d’un proconsul carpet-bagger, venu du nord tout exprès pour livrer la population blanche à l’ascendant de ses anciens esclaves. Ce qu’il y a de plus cruel dans cette situation, c’est que, si elle a eu un commencement, on ne voit pas trop comment elle pourrait jamais avoir une fin. La Caroline du sud semble être le bouc émissaire